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29 avril 2010 4 29 /04 /avril /2010 21:10

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Lorsque les attentats contre les TGV étaient au devant de l'actualité, la lecture de l’interview que Julien Coupat, principal suspect, avait donné au monde m'a fait frissonner. On assistait au déroulement d’une logique implacable, froide, d’une violence verbale extrême, avec une maîtrise parfaite de l’art de la dialectique. On ne peut douter que le sang soit au bout d’une telle logique, ce qui ne faisait pas de l’individu en question un coupable, et ne justifiait pas son maintien en détention s’il était innocent des faits qui lui étaient reprochés, mais on espèrait que ceux qui réclamaient si haut et fort sa libération  savaient ce qu’ils faisaient.
Sans qu’il y ait un rapport bien évident, cette expression d’une « pure rationalité », m’a amené à faire un rapprochement avec un éditorial paru au même moment dans le journal économique « La Tribune », intitulé « Les esprits animaux hantent les dessous de la crise », et qui traitait de la question suivante : « peut on considérer les acteurs comme agissant de façon rationnelle ? ». Deux écoles s’affrontent chez les théoriciens de l’économie : pour les uns les comportements irrationnels ont joué un rôle essentiel dans la formation et l’éclatement de la bulle immobilière et boursière, tandis que pour les autres, les acteurs sont strictement rationnels et c’est le système qui est instable. Inutile de préciser que l’on trouve dans la seconde catégorie les tenants de « l’échec du capitalisme ». Il est dommage que nos économistes qui défendent le mythe de la « rationalité des agents », ne connaisse pas les travaux du neurophysiologiste Antonio Damioso qui a montré dans « L’erreur de Descartes » (prolongé par un autre ouvrage « Spinoza avait raison ») que des patients cérébrolésés (après ablation de tumeurs par exemple) de telle façon que leurs capacités émotionnelles sont amoindries, voire anéanties, « se comportent curieusement dans la vie quotidienne, en faisant des choix qui se révèlent désastreux tant au niveau professionnel que privé. Comme s'ils avaient perdu la raison. ..Ces capacités émotionnelles sont indispensables à la prise de décision rationnelle ». Un neurobiologiste, Clive Hamilton, va dans le même sens, « Le modèle de l’agent rationnel qui forme la base de l’économie classique….est adapté à une société de gens rendus incapables de ressentir des émotions humaines normales…L’homme économique rationnel est un monstre neurologique ». (On peut se demande s’il n’en est pas de même de Julien Coupat)..
Spinoza avait raison, on ne peut séparer Corps et Esprit.
Mais réduire l’éclatement des « bulles » (comme celui des « révolutions » ?) à un excès de «rationalité », ce que tendrait à conforter le recours à des modèles mathématiques de plus en plus sophistiqués, semblent méconnaître bien d’autres travaux dans le domaine de la philosophie et de l’économie politique. On connaît les fondements de la philosophie libérale « En agissant en vue de leurs fins particulières, les individus autonomes œuvrent inconsciemment à la réalisation de la fin commune qu'est l'organisation de la société ». C’est la théorie de la "main invisible", « assimilable à la ruse de la raison hégélienne ». Mais rejetant l'idée d'une « référence divine » seule capable de garantir le meilleur des mondes possibles, les libéraux, qu’il s’agisse d’Adam Smith, Frederik Hayek ou John Rawls, font de l’action spontanée des individus le principe moteur de l'organisation sociale. Le girardien Jean Pierre Dupuy, dans « Le sacrifice et l’envie », a noté « bien que les penseurs du libéralisme soient partis avec l'idée d'un "point de référence endogène", qui serait produit spontanément par l'action des individus, ils "finissent par sacraliser leur point fixe endogène, lui donner un statut d'extériorité". Selon Dupuy, « ce renoncement théorique n'était pas inévitable, et n'est accepté que "par peur devant les ravages possibles de l'univers concurrentiel (...) La sortie de l'organisation religieuse du monde instaure une ère de concurrence potentiellement illimitée (...) Cependant les penseurs de l'économie politique, pris de vertige devant cet univers sans borne qui s'ouvre devant eux, refusent d'en assumer toutes les conséquences ". JP Dupuy montre que par peur des conséquences de l'envie, ces penseurs réintroduisent dans leurs modèles la notion de sacrifice, sacrifice d’une minorité pour le bien être du plus grand nombre….
Ce sont les mécanismes mimétiques de « l’envie » qui expliquent la constitution des bulles, ceux de la « Panique » qui expliquent leur éclatement : « Le libéralisme se construit donc dans ce que l'on pourrait appeler un "refoulement de la foule". Le marché est censé contenir la foule et prévenir sa désagrégation. Mais si contenir veut dire réfréner, ce verbe signifie en même temps englober: ce que le libéralisme réprime, c'est ce qu'il rend possible, à savoir le déchaînement de l'envie. »

Mais les tenants de « rationalité pure » (pas ce contre sens cependant, les mécanismes de l’envie, pour être inconscients, n’en sont pas moins rationnels, mais dans le cadre de capacités émotionnelles préservées), préfèrent revenir à Marx que lire René Girard. Marx revient à la mode et fait la une des hebdomadaires. Peut être une occasion de relire un livre de référence sur ce sujet, celui du Jésuite J.Y.Calvez, un des théoriciens de la doctrine sociale de l’Eglise, « La pensée de Karl Marx », paru en 1956. Ce membre de la compagnie de Jésus, maintenant fort âgé, a récemment fait parler de lui, en réagissant mal à deux initiatives pontificales, celle de Jean Paul II qui avait nommé un délégué pontifical pour diriger sa compagnie, et plus récemment celle de Benoît 16 concernant la levée d’excommunication des quatre Evêques intégristes « il y a bien des problèmes dans cet événement ». Cette décision lui reste « en travers de la gorge ».

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