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5 novembre 2014 3 05 /11 /novembre /2014 22:34
Le Royaume

L’ été avait été fort contrasté quant à mes plaisirs de lecture : de l’enthousiasme avec un thriller haletant que vous n’arrivez pas à lâcher, « Je suis Pilgrim », qui au-delà de quelques réflexions discrètement islamophobes qui raviraient Zemmour, donne une vision terrifiante et réaliste de la dérive du terrorisme islamique vers les actes isolés ; à la déception avec le dernier roman fleuve de Donna Tartt, « Le Chardonneret », pourtant encensé par la critique, mais qui après une description éblouissante des conséquences d’un attentat au Metropolitan Museum, m’a plongé dans un ennui certain (je dois avouer avoir lu des pages entières en diagonale), n’arrivant que par intermittence à m’intéresser aux (més)aventures de son héros à l’homosexualité profondément refoulée, en dépit de la virtuosité narrative de l’auteur.

Enfin arrivé enfin au bout des 700 pages de ce roman, j’étais impatient de me plonger dans le livre dont on parlait le plus en cette rentrée littéraire. Ces dernières années un tel engouement, des «Bienveillantes» de Jonathan Little à « La carte et le territoire » de Houellebecq - deux grand moments de lecture – annonçaient le prix Goncourt. Ce ne sera pas le cas avec « Le Royaume » d’Emmanuel Carrère qui a été systématiquement éliminé des sélections. Ostracisme vis-à-vis d’un écrivain, peu probable, ou plutôt christianophobie ? Il s’agit en effet d’un enquête romancée sur les origines du christianisme…

Le sujet ne pouvait que me passionner- fasciné depuis toujours été par les évangiles – d’autant plus que j’avais fort apprécié « la moustache » et surtout son livre sur Philippe K Dick, « Je suis vivant, vous êtes mort », deux de ses précédentes oeuvres. J’ai dévoré cette reconstitution très documentée des débuts du christianisme à travers l’histoire des premières communautés chrétiennes et notamment celles de Saint Paul et de Saint Luc –médecin macédonien, compagnon de Paul, auteur des Actes des apôtres et du troisième évangile - tachant de répondre à cette incroyable énigme : comment une secte fondée sur cette croyance absurde « d’un homme revenu d’entre les morts », a-t-elle pu devenir une église universelle, l’Eglise?

Il aurait pu en être autrement si plusieurs « nœuds temporels » ne s’étaient succédés sur trois siècles :

* La décision de Pilate tout d’abord, préalable indispensable à la mise en place de ce conte fantastique. Que serait-il advenu s’il avait dit non aux Prêtres ?

* La chute de Jérusalem ensuite, 70 ans plus tard, qui va faire des juifs, et donc des judéo-chrétiens des proscrits, étouffant la voix des disciples les plus proches de Jésus, Jacques son frère, véritable leader de l’église primitive et les apôtres Jean et Pierre, les plus légitimes à répandre son enseignement, laissant le champ libre aux « chrétiens », disciples du « trublion déviationniste » Paul qui prône une église universelle et déjudaïsée (origine sans doute de l’accusation d’antisémitisme portée à son encontre). Les fondateurs sont devenus des hérétiques…Que serait-il advenu du christianisme si sa parole dominante était restée celle de la secte intégriste de Jacques, ou de celle « ésotérique et paranoïaque » de Jean (auteur de l’Apocalypse dont les imprécations visent, à n’en pas douter selon Emmanuel Carrère, Paul et ses disciples - la synagogue de Satan - accusés de « manger de la viande ou d’en laisser manger »). C’est sur ce qui restait de leur secte que Mahomet se serait fait une idée de Jésus…L’auteur fait un parallèle avec cet autre religion que fût le communisme post Lénine, mais avec cette différence essentielle : dans l’église primitive, c’est Trotski qui l’a emporté sur Staline…

* La conversion de Constantin enfin, qui par la voie de la mondialisation romaine va en faire la religion officielle de l’empire.

Les mondes alternatifs - les univers parallèles - qu’on pourrait imaginer, conséquences d’un « dénouement » autre de ces potentielles bifurcations temporelles illustreraient à merveille le livre que le psychanalyste et essayiste Pierre Bayard, « Il existe d’autres mondes », vient de consacrer au paradoxes de la mécanique quantique (« Le chat de Schrödinger »).

Bien d’autres sujets sont abordés dans ce monument littéraire où la vie personnelle de l’auteur ( reproche qui lui a été fait dans la critique très négative des staliniens de Mediapart) est omniprésente. L’auteur dit en effet "d’où il parle", narrant sa crise mystique et sa conversion , puis sa « déconversion », faisant de lui un agnostique qui ne croit pas que le Christ soit ressuscité :"« Non, je ne crois pas que Jésus soit ressuscité. Je ne crois pas qu'un homme soit revenu d'entre les morts. Seulement, qu'on puisse le croire, et de l'avoir cru moi-même, cela m'intrigue, cela me fascine, cela me trouble, cela me bouleverse". Mais comme il le précise si justement, l’agnosticisme ( qui est mon état de conscience) n’est pas plus neutre que l’apolitisme…Si se dire « ni de droite ni de gauche » fait suspecter une position qui penche plutôt à droite, se dire agnostique c’est tout de même ne pas totalement écarter la possibilité …de la résurrection.

J’ai terminé la lecture du Royaume au moment où se déroulait le synode des Evêques à Rome. Comment ne pas faire le rapprochement, et se demander qui des Evêques conservateurs ou du « trublion déviationniste » jésuite à la tête de l’Eglise finira par l’emporter…

Le dernier film de Woody Allen, « Magic in the Moonlight », savoureux et magique m’a semblé une bonne illustration de ce billet. Sa « morale » n’est-elle pas : il n’y a pas "d' au-delà", mais y croire peut parfois avoir des effets positifs…

"Je ne fais pas le bien que j'aime, mais le mal que je hais" (Saint Paul)

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commentaires

T
Merci beaucoup pour cet article. Merci.
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