Depuis qu’enfant, dans la belle forêt de Chiberta, entre Bayonne et la Chambre d’amour, que les hommes ont détruite pour y construire leurs villas avec piscine, je discutais avec mon
grand-père de l’existence de Dieu, j’ai toujours été fasciné par la possibilité d’une théorie du « Tout ».
Toute théorie du tout se doit de résoudre les problèmes des « origines », univers, culture, etc…Les théoriciens de la physique, confrontés à l’incompatibilité, aux origines de l’univers,
de la mécanique quantique et de la relativité générale, sont les plus avancés dans cette quête du graal, et la théorie « des cordes » fait figure de favorite, non sans être contestée, et
le dernier livre de Léonard Susskind, un de ses pères, « La guerre des trous noirs » (tout un programme…) nous en révèle le cheminement.
En sciences humaines, la théorie Girardienne du désir mimétique, est également candidate au statut de théorie du tout. Jean Pierre Dupuy en est sans doute son plus brillant théoricien.
Dans son dernier livre, « La marque du sacré », prenant comme point de départ la panique financière de 2008, il s’efforce de montrer le lien qui lie ses travaux qui touchent à la
philosophie des sciences et des techniques, la philosophie morale et politique, la métaphysique, l’épistémologie, la théorie de la société, et ce lien c’est en grande partie la théorie
girardienne contenue dans cette parole de la bible : « comment Satan peut-il expulser Satan » ?
« L’hypothèse girardienne consiste à postuler que le sacré résulte d’un mécanisme d’auto-extériorisation de la violence des hommes, laquelle se projetant hors de leur prise sous forme de
pratiques rituelles, de systèmes de règles, d’interdit et d’obligations, réussit à se contenir elle m^me. Le sacré c’est la « bonne violence » institutionnalisée qui régule la « mauvaise
violence » anarchique, son contraire en apparence. Le mouvement de désacralisation du monde qui constitue ce que nous nommons la modernité est travaillé par un savoir qui s’insinue
progressivement dans l’histoire humaine : et si la bonne et la mauvaise violence ne faisaient qu’une ? Comment ce doute, sinon ce savoir nous est il advenu ? »
La réponse de Girard : peut il y avoir savoir de l‘autotranscendance sans transcendance véritable ? Nous savons que le mal est capable de s’autotranscender (Satan expulse Satan), et par
la même de se contenir dans des limites, ce qui évite sa destruction totale. C’est l’origine de la culture. « Penser implique ici de violer bravement les interdits et obligations de la
méthode cartésienne et de renoncer à l’idéal d’une connaissance fondée sur des « idées claires et distinctes ». Penser, c’est s’approcher le plus possible de ce trou noir où il n’y a plus
de différences, afin d’apercevoir le chaos primordial où s’origine toute chose.
Et si c’était aussi la condition pour approcher Dieu ?.... ».
On n’est plus tout à fait le même une fois qu’on a lu le livre de Jean Pierre Dupuy qui se clôt sur une analyse éblouissante de Vertigo, d’Hitchcock.
L’absence de différence, l’origine du mal. Peut être là l’origine de ma réticence à cette revendication du droit à l’indifférence…
"Les Lumières ont versé, si l'on ose l'écrire, des torrents de larmes, que le romantisme se garda bien de sécher, quoiqu'il ait modifié la matière des mouchoirs, et réduit quelque peu
leur format. Ces pleurs si naturels, si l'on en croit leur immémoriale ancienneté parmi nous - qu'attestent à l'envi la littérature, qui sait tout, et la peinture, qui voit tout, pour ne
rien dire de la musique, qui bruit de bout en bout de leur débordement -, ces pleurs directement tombés des yeux de la nature, il ne fallut rien moins que le naturalisme pour commencer à
les tarir, l'urbanisme haussmannien, la science, les mardis de la Salpêtrière et la grande industrie. Nous ne sanglotons à peu près plus, sauf, et ce n'est même pas sûr, aux pires
débâcles de l'histoire, de la grande et de la nôtre. Or qu'en serait-il pourtant de décennies à la chaîne qui ne sauraient plus ce que c'est que le rire ? Nous ne savons presque plus ce
que c'est que les larmes."
(Renaud Camus, Le Bord des larmes, P.O.L., 1990)
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