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22 septembre 2015 2 22 /09 /septembre /2015 15:38
De la French Theory à l'univers orwellien

Michel Houellebecq était l’invité de rentrée de l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché ». A ses interlocuteurs se référant aux succès des livres de Zemmour, Finkielkraut, Onfray et à la montée du FN, dont il contestait les affirmations selon lesquelles son point de vue sur l’islam se situerait «dans l’air du temps», il lui fallut préciser, ce qui semblait pourtant évident, qu’il ne parlait pas du « peuple», mais de la doxa médiatique totalement colonisée par la gauche «bien-pensante». La sortie sur les écrans de la palme d’or à Cannes, «Deephan», le dernier film de Jacques Audiard, est venue à point nommé pour en donner une preuve éclatante tant il s’est fait «éreinté» dans la presse de gauche, l’exemple le plus pathétique ayant été donné par un chroniqueur de l’Observateur, un certain Vincent Malausa : « arrogant et stupide. Un film politiquement infect…. agonisant dans sa bêtise et comme étourdi de sa petite puissance de roitelet d'un hypothétique néo-cinéma de genre français… ». Ici chapelet d’injures d’une chronique abjecte, là incroyable mauvaise foi d’un article des Inrocks qui s’indigne de découvrir que la banlieue où a été tourné le film est en fait sans histoire, comme s’il s’était agi d’un documentaire et non d’une œuvre de fiction : l’histoire d’un exilé sri-lankais qui, fuyant la guerre civile de son pays, réussissant à immigrer en France grâce à de faux papiers et la constitution d’une famille fictive et s’intégrant, plutôt avec succès, va retrouver, confronté à la violence des bandes organisées de sa banlieue d’accueil, ses instincts de guerrier tamoul pour protéger cette femme qui n’est pas la sienne et dont il va finir par tomber amoureux. Cette peinture d’une certaine banlieue française comme zone de non droit, jointe à un exil final dans une Angleterre idyllique (sur ce dernier point les intentions du réalisateur restent certes obscures) ne pouvait que s’attirer les foudres de la «censure de la bien-pensance».

L’instrumentalisation de la photo d’un enfant mort sur une plage, témoin de l’exode d’une population fuyant désespérément une autre guerre civile, qui s’éternise en partie du fait de l’inertie de l’Europe, comme l’a illustré la caricature de Charli Hebdo, a permis de rendre inaudible tout autre discours que celui humanitariste de la doxa médiatique, mais avec d’inattendus et savoureux effets collatéraux. En effet, il y a peu encore, durant la crise grecque, Angela était adulée par la droite «républicaine» et vouée aux gémonies par la gauche paranoïaque et son allié virtuel le front national. Quelques mois plus tard, la posture de la chancelière comme guide moral de l’Europe a rendu la droite schizophrène et sidéré l’extrême gauche qui n’avait pas besoin de ça après la «trahison» de Tsipras, qui tel la chèvre de monsieur Seguin avait cédé au petit matin. Mais notre nouvel Hébert, Jean-Luc Mélenchon, n’allait pas se laisser troubler bien longtemps avant d’ajouter un chapitre à son «hareng de Bismark» en accusant une nouvelle fois Angela, qui n’est certes peut-être pas totalement angélique dans cette affaire, de tuer l’Europe : "Ce que fait Mme Merkel, c'est un leurre. Et nous le paierons cher". Le seul point qui le séparait encore de « la fille du père» étant l’attitude vis-à-vis de l’islam, on pourrait se demander si cette dernière diatribe n’est pas le début d’une ultime convergence : aurait-il peur d’une porte ouverte à l’islamisation accélérée de l’Europe, prélude à l’autoréalisation du roman «prophétique» de l'écrivain algérien Boualem Sansal, 2084, présélectionné pour le Goncourt, décrivant une Europe sous l’emprise du totalitarisme islamique et dont Houellebecq en avait fait l’éloge dans l’émission de Ruquier ?

Ce roman fait bien sûr écho à 1984, à un moment où Orwell tend à devenir la référence de ces intellectuels français, dont les plus représentatifs ont été cités en début de billet, qui dénoncent la fracture sans cesse élargie par la censure de la bien-pensance, entre l’idéologie dominante et la culture populaire. Comment ne pas rapprocher ces quelques lignes d’Orwell ( http://www.slate.fr/story/103135/printemps-orwellien-intellectuels-francais ) «Profondément enracinées dans l'économie planétaire et ses technologies sophistiquées, culturellement libérales, c'est-à-dire “modernes”, “ouvertes”, voire “de gauche”, les nouvelles élites du capitalisme avancé manifestent en effet……à mesure que leur pouvoir s'accroît et se mondialise, un mépris grandissant pour les valeurs et les vertus qui fondaient autrefois l'idéal démocratique. Chaque jour devient plus manifeste leur incapacité dramatique à comprendre ceux qui ne leur ressemblent pas: en premier lieu, les gens ordinaires de leur propre pays.», de celles de Jacques Julliard « Ces écrivains et ces essayistes se rapprochent du peuple réel à mesure que le parti socialiste s’en éloigne….Ce qu’ils reprochent à la gauche c’est de s’inventer de nouveaux prolétariats au détriment du prolétariat réel ».

Michel Onfray avait beau jeu samedi soir chez Ruquier, encore, de répondre à un Yann Moix hystérisé : « c’est vous qui faites le lit du FN ».

Ces intellectuels, que le Monde qualifie «à la dérive», estiment que cette dictature de la «bien-pensance» est le fait d’une génération qui a été formée par le French Theory : « C’est un mouvement de civilisation... L’erreur des intellectuels, des philosophes… ceux dont on dit qu’ils sont la french theory outre-Atlantique, c’est-à-dire les Deleuze, les Foucault, les Guattari, les Derrida etc., ont déliré, ont déliré. Et intellectuellement ça produit encore des effets chez Najat Vallaud-Belkacem par exemple » (Michel Onfray, débat avec Eric Zemmour, le Point).

Il se trouve qu’un roman, « La 7è fonction du langage », prix du roman Fnac, vient d’être consacré à cette génération d’intellectuels qui ont dominé le monde universitaire des années 70/80, les structuralistes, mieux nommés « déconstructivistes ». Ce récit, sous forme d’une enquête policière jubilatoire transformant le suicide de Roland Barthes en son «assassinat » à la sortie d’un déjeuner avec François Mitterrand, nous donne des portraits irrésistibles des protagonistes de la French Theory (entre autres les exploits de Michel Foucault dans les saunas gays….), ainsi que de Sollers et BHL (qui n’auraient pas apprécié…). L’auteur, Laurent Binet, étant, à ce que j’en sais, plutôt proche de le la gauche «bien-pensante», il faut sans doute plus voir dans cet ouvrage un hommage en forme d’initiation ludique à un mouvement de pensée exceptionnel, qu’une mise en pièce du structuralisme et qu’il fasse siennes ces paroles de Michel Onfray : « La mauvaise chose c’est que la destruction de valeurs qui avaient fait leur temps, n’a pas été remplacée par des valeurs nouvelles, c’est-à-dire que ce moment de négativité qu’a été mai 68 aurait dû être suivi par un moment de positivité qui n’a pas eu lieu. Donc je dis oui à ce moment de négativité parce qu’on ne peut pas dire non au réel… C’est un mouvement de civilisation... ».

Michel Foucault qui interviewé en 1979, à une époque où il s’enthousiasmait pour la révolution iranienne, disait à propos de l’arrivée massive des boat people vietnamiens « Les hommes réprimés par la dictature choisiront d’échapper à l’enfer…..Je crains que ce qui se passe au Vietnam ne soit pas seulement une séquelle du passé, mais que cela constitue un présage de l’avenir ». Il n’avait pas imaginé le changement d’épistémè !

Je reste un tant soit peu nostalgique de ces années de «déconstruction» ( pas seulement sur le plan « philosophique »…), mais je suis de ceux qui se demandent parfois si elles ne nous ont pas mené dans une impasse.

«La liberté, c'est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque c'est accordé, le reste suit.»

(Orwell, 1984)

De la French Theory à l'univers orwellien
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commentaires

W
Bonsoir, vous aimez le cinéma de légende, vous êtes physionomiste ? Je vous invite sur mon blog à participer au jeu n°18. Merci d’avance ;O))<br /> http://willow-s-house.over-blog.com/2015/11/devinette-n-18.html
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