On nous annonce de toute part des temps difficiles au point que Jacques Attali nous prédise une apocalypse économique. Une occasion pour moi de vous parler du dernier livre de René Girard, «
Achever Clausewitz » qui brandit la menace d’une apocalyse bien plus globale.…La lecture en 1978 de son livre « Des choses cachées depuis la fondation du monde » fût pour moi une révélation. Il
donnait naissance à une anthropologie radicalement différente de celle, structuraliste, de Levy Straus, puisqu’il y était dit que les mythes avaient un sens, que les mythes disaient la Vérité.
J’ai été séduit par son hypothèse « le désir mimétique », hypothèse qui n’a cessé d’être consolidée dans ses oeuvres ultérieures, où celle de ces disciples (JP Dupuy, M Serres, etc..). Marginal
au début, l’importance de son œuvre est aujourd’hui universellement reconnue, même si elle reste souvent très contre versée (parfois avec violence) du fait de la dimension chrétienne,
incontournable, selon lui qui est au cœur de sa théorie. Il existe certes des « Girardiens » qui ont mutilé la théorie de cette dimension là, mais il les considère sûrement comme des
hérétiques…Revenons en à son dernier livre. Clausewitz, stratège prussien, est connu pou son inachevé « traité de la guerre », qui se présente aussi comme une « loi des rapports humains » et de
l’incapacité de la politique à contenir l’accroissement de la violence. « Achever Clausewitz, pour Girard, c’est lever un tabou : celui qui nous empêchait de voir que l’apocalypse a commencé. Il
ne m’est pas possible ici d’analyser ce livre passionnant, aussi je me contenterai de reproduire une partie de son introduction qui éclaire la théorie girardienne
« Mon hypothèse est mimétique : c’est parce que les hommes s’imitent plus que les animaux, qu’ils ont du trouver le moyen de palier une similitude contagieuse, susceptible d’entraîner la
disparition pure te simple de leur société. Ce mécanisme, qui vient réintroduire de la différence là où chacun devenait semblable à l’autre, c’est le sacrifice. L’homme est issu du sacrifice, il
est donc fils du religieux. Ce que j’appelle après Freud le meurtre fondateur -à savoir l’immolation d’une victime émissaire, à la fois coupable du désordre et restauratrice de l’ordre -s’est
constamment rejoué dans les rites, à l’origine de nos institutions. Des millions de victimes innocentes ont ainsi été immolées depuis l’aube de l’humanité pour permettre à leurs congénères de
vivre ensemble ; ou plutôt de ne pas s’auto détruire. Telle est la logique implacable du sacré, que les mythes dissimulent de moins en moins, au fur et à mesure que l’homme prend conscience de
lui-même. Le moment décisif de cette évolution est constitué par la révélation chrétienne, sorte d’expiation divine où Dieu en son fils demanderait pardon aux hommes de leur avoir révélé si tard
les mécanismes de leur violence. Les rites les avaient lentement éduqués, les hommes allaient dorénavant devoir s’en passer. C’est le christianisme qui démystifie le religieux et cette
démystification, ……, nous n’étions pas préparés à l’assumer. Nous ne sommes pas assez chrétiens. On peut formuler ce paradoxe d’une autre manière, et dire que le christianisme est la seule
religion qui aura prévu son propre échec. Cette prescience s’appelle l’apocalypse. C’est dans les textes apocalyptiques, en effet, que la parole de Dieu se fait entendre avec le plus de force, à
rebours des erreurs uniquement imputables aux hommes, qui voudront de moins en moins reconnaître les mécanismes de leur violence……C’est la raison pour laquelle aussi personne ne veut reconnaître
que ces textes se réalisent sous nos yeux comme conséquence de la révélation méprisée. Une fois dans l’histoire, la vérité de l’identité de tous les hommes s’est dite, et les hommes n’ont pas
voulu l’entendre, s’accrochant de plus en plus frénétiquement à leurs fausses différences.
Deux guerres mondiales, l’invention de la bombe atomique, plusieurs génocides, une catastrophe écologique imminente n’auront pas suffi à convaincre l’humanité, et les chrétiens en premier lieu,
que les textes apocalyptiques, m^me s’ils n’avaient aucune valeur prédictive, concernaient le désastre en cours. Que faire pour qu’on les entende ? On m’a accusé de trop me répéter, de fétichiser
ma théorie, de lui faire rendre raison de tout. Elle s’est pourtant appliquée à décrire des mécanismes que les découvertes récentes de la neurologie confirment : l’imitation est première et le
moyen essentiel de l’apprentissage, plutôt que chose apprise. Nous ne pouvons échapper au mimétisme qu’en en comprenant les lois : seule la compréhension des dangers de l’imitation……..
…La violence est aujourd’hui déchaînée au niveau de la planète entière, provoquant ce que les textes apocalyptiques annonçaient : une confusion entre les désastres causés par la nature et les
désastres causés par les hommes, une confusion du naturel et de l’artificiel : réchauffement global et montées des eaux ne sont plus aujourd’hui que des métaphores. La violence, qui produisait du
sacré, ne produit plus rien qu’elle-même……Le paradoxe est qu’à se rapprocher toujours davantage du point alpha, on s’achemine vers l’omega. Qu’à comprendre de mieux en mieux l’origine, on réalise
chaque jour un peu mieux que c’est cette origine qui vient vers nous : le verrou du meurtre fondateur, levé par la Passion, libère aujourd’hui une violence planétaire, sans qu’on puisse refermer
ce qui a été ouvert. Car nous savons désormais que toutes les victimes sont innocentes. La Passion a dévoilé une fois pour toutes l’origine sacrificielle de l’humanité. Elle a défait le sacré en
révélant sa violence. Le paradoxe incroyable, que personne ne veut accepter, est que la Passion a libéré la violence en même temps que la sainteté. Le sacré qui depuis deux mille ans « fait
retour », n’est donc pas un sacré archaïque, mais un sacré « satanisé » par la conscience qu’on en a , et qui signale, à travers ses excès même, l’imminence de la Parousie. Aussi ce que nous
cherchons à décrire comme ayant eu lieu au commencement, s’applique-t-il de plus en plus aux événements en cours. Ce plus en plus est la loi de nos rapports, à mesure que la violence croît dans
le monde, au risque cette fois de le détruire. « Polémos, écrivait Héraclite », est père et roi de tout. » »
La référence à Rousseau souvent invoqué par certains disciples de Girard (notamment Jean Pierre Dupuy que j’ai déjà) m’avait dans un premier temps semblé paradoxale puisque Jean Jacques considère
que l’homme est naturellement bon (alors que pour les girardiens le mal, le désir mimétique, est premier et conduit au péché originel, le meurtre fondateur) et que c’est la société qui le rend «
mauvais ». Mais pour qu’il y ait « mimésis » il faut être plusieurs, c’est donc bien la « société » qui permet au mécanisme de se déclencher, tandis que la culture ( le sacré d’abord, puis
l’économie aujourd’hui) permet de « contenir » (dans les deux sens du mot contenir) ce mécanisme, de plus en plus difficilement.
En un mot, pour n’a voir pas vu que le texte évangélique était le Graal nous serions en train de courir à l’Apocalypse….
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