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2 mai 2021 7 02 /05 /mai /2021 17:36

Les regards croisés, si divergents, sur la question gay, de Dominique Fernandez et d’Arthur Dreyfus dans leur « Correspondance indiscrète » ont fait l’objet d’un ancien billet de ce blog (https://limbo.over-blog.org/2016/07/gays-d-hier-et-d-aujourd-hui.html) et j’avais dit combien, en dépit d’une proximité générationnelle avec le premier, je me sentais nettement plus proche du second.

 

La publication simultanée du dernier roman de l’académicien, « L’Homme de trop », et du « Journal sexuel d’un jeune homme d’aujourd’hui » d’Arthur Dreyfus, illustre de façon presque caricaturale le gouffre qui sépare leur vécu de l’homosexualité. Difficile de porter un jugement définitif sur ces deux oeuvres, puisque seul le premier tome du roman est paru, quant au journal qui comporte plus de 2000 pages, sorte de bible du sexe écrite sur papier approprié, je suis loin d’en avoir terminé la lecture.

 

Eternel minoritaire , hier dans une France où l’homosexualité se vivait cachée et souvent honteuse, aujourd’hui dans celle du conformisme où les gays se sont « hétérosexualisés » dans leur conquête du « droit à l’indifférence », « L’Homme de trop », Lucas, soixantenaire, porte parole de l’auteur, raconte son vécu, nostalgique, du passage du monde pré-gay à celui post-gay qui a commencé avec l’adoption du Pacs (terme du premier tome) et qui culminera avec le mariage pour tous dans le deuxième tome à paraitre. Le vécu refoulé et honteux de sa jeunesse nous vaut des pages interminables, érudites jusqu’à l’ennui, établissant un parallèle entre homophobie et la porcophobie, une chronique tout aussi documentée de l’homophobie des années pré-gay, la narration de ses rencontres amoureuses, douloureuses, avec de jeunes gens abimés par la vie, handicapés sociaux pour lesquels son attachement, indissociable de son sentiment de culpabilité, traduirait le « rachat d’une faute ». Même si son affirmation de l’homosexualité comme différence, comme une autre façon d’être au monde, son rejet de la psychanalyse et de ses élucubrations sur la question gay, font écho à plusieurs billets de ce blog, sa vision biaisée par son histoire personnelle et son côtoiement  d’homosexuels « marginaux » l’amène a proférer des absurdités sur le vécu gay : où est-il allé chercher que les bars homosexuels n’étaient plus fréquentés que par des seniors nostalgiques, des jeunes timides ou des provinciaux ou que les lieux de sexe ne concernaient plus que les anciennes générations victimes du refoulement! Son rejet du communautarisme gay a du le tenir éloigné du Marais depuis longtemps… Plutôt une déception donc , loin de l’émotion que j’avais éprouvé à la lecture de « l’Etoile Rose » du temps de ma libération sexuelle (https://limbo.over-blog.org/article-litterature-et-homosexualite-61056855.html).

 

Longtemps je vais me coucher avec le journal sexuel d’Arthur Dreyfus, livre de chevet pour quelques pages chaque soir, comme ce fut le cas lorsque j’entrepris, jeune adulte, la lecture de La Recherche. Ses « Tricks » sont bien différents de ceux du livre culte de Renaud Camus qui fantasmait sur les « moustachus, poilus » de 25-40 ans, bien loin de mes gouts à cette époque, alors qu’Arthur, rare point commun avec Dominique Fernandez, chasse l’éphèbe, orientation qui était aussi celle de mon désir lorsque j’avais son âge.

 

Quelle motivation peut conduire à une telle monumentale publication dont on peut se demander si elle n’a pas la dimension d’une confession? L’ampleur de son addiction au sexe, tellement supérieure à la mienne qui n’est pourtant pas banale, le nombre vertigineux de ses rencontres bien au delà de ce que j’ai connu dans ma période la plus florissante, en un temps il est vrai dépourvu d’applications de rencontre, sa fréquente recherche de rapports de brutale soumission ou humiliation, sa phobie paradoxale de la contamination - avec un rapport étrange au risque de la fellation qu’il ne craint qu’active, ce qui nous vaut son affirmation répétitive et fatigante  de l’usage de la capote, qui n’a aucun rationnel épidémiologique, jusqu’à la Prep vienne enfin l’en dispenser - semblent traduire un certain mal être, impression confortée par son besoin de justification au moyen d’interprétations psychanalytiques douteuses, jusqu’au cliché lors de l’assimilation de l’attrait de certains jeunes pour les « matures » à un désir du père, rappelant ces absurdes « merci j’ai déjà un père » si fréquentes sur Grindr.

 

Il est possible que mon jugement évolue au fil des pages, dont je viens à peine de dépasser la cinq centième, mais je ne serais pas surpris que cette oeuvre, comme ce fut le cas pour Renaud Camus, Guillaume Dustan ou Hervé Guibert, même si elle est diversement reçue - on peut concevoir que l’hétérosexuel moyen, fut-il critique, jette l’éponge en cours de route - marque durablement la littérature gay contemporaine. En dépit de la gêne éprouvée lors de certains passages, qu’il s’agisse de son « expérience » de la prostitution ( dont je crains qu’elle n'annonce celle de la drogue) avec des descriptions peu amènes de ses « clients », du regard  qu’il porte sur les gays âgés dont il regrette qu’ils exposent leur corps « délabré » dans les saunas ou de détails scatologiques répétitifs quant à la propreté de son cul, je ne peux nier, qu’au delà de la narration de ses ébats sexuels, les réminiscences de mon propre vécu, la caractère parfois jubilatoire des  descriptions « intellectuelles » de ses rencontres (et de ce qu‘en révèle la décoration de leur intérieur…) et le florilège des citations grindr, me procurent un constant plaisir de lecture qui devrait m’amener jusqu’au terme de ce journal.

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