Le casier de ma bibliothèque consacré aux livres « en attente » ne cesse de se remplir, une bonne vingtaine maintenant, achetés au fur et à mesure de leur parution, victimes de la limitation de mes capacités actuelles de lecture. Les vacances, et le temps des trajets en avion ou en train lors de mes déplacements ne peuvent suffire. Au jour le jour, je n’arrive à lire que le soir, lorsque le sommeil guette et ne vous accorde que peu de répit. Certes, Bertrand a raison, si je passais moins de temps à surfer sur Internet, je retrouverais peut être la cadence de ma jeunesse, avant ma naissance au monde du sexe, quand je dévorais plusieurs livres par mois. « Fakirs » à peine terminé, « les cahiers secrets de la 5è république » de Michèle Cotta toujours en cours, voilà que la 2è rentrée littéraire, celle de janvier, commence à s’étaler dans les librairies, et comme ce qui vient de sortir a toujours plus d’attrait immédiat que ce qui est déjà paru, je me suis précipité sur ma drogue annuelle, le nouveau tome, l’année 2007, "Une chance pour le temps", du journal de Renaud Camus. J’avais découvert cet auteur, au début des années 80, lors de la sortie de « Tricks », préfacé par Roland Barthes, où il contait ses aventures d’un soir, ce que l’on appelle aujourd’hui des « plans ». Ce livre « d’avant SIDA », préfacé par Roland Barthes, tranchait notablement avec la production homosexuelle habituelle, mini scandale. Ses « tricks », des mâles moustachus et poilus de 30 à 40 ans, n’étaient cependant pas les miens (je faisais plutôt à cette époque dans le minet imberbe) et le livre n’avait suscité chez moi qu’un intérêt curieux. C’est son essai « Chroniques Achriennes », paru au moment où j’entrais dans le militantisme homosexuel (j’avais d’ailleurs utilisé le terme « Achrien » pour le nom de l’association « Les Nouveaux Achriens » dont je participais à la fondation), et ses savoureux « fragments de bathmologie quotidienne, Buena Vista Park » qui me l’ont fait vraiment connaître. Son journal de l’année, commencé en 1985 et paraissant toujours avec un décalage de plusieurs années, ne m’a plus quitté. Il a publié plus récemment 2 volumes « rétrospectifs »sur les années 76/77, incomparable témoigne sur ce que furent les années d’avant le SIDA. Ce journal est en quelque sorte devenu le roman de sa vie qui y est décrite sous tous ses aspects, sexuel, financier, culturel, affectif, politique, etc… et se lit comme un roman. J’ai personnellement ressenti trois ruptures dans l’évolution du journal. L’année 91 d’abord qui verra la mort de son ami et bienfaiteur Jean Pyaubert, il était un personnage central de ce roman d’une vie. La rencontre avec Pierre ensuite, à la fin des années 90 si mes souvenirs sont bons. Les « Tricks », multiples aventures sexuelles dont l’auteur ne nous cachait rien, et qui constituaient une part essentielle de chaque journal de l’année, ont disparu avec cette rencontre qui s’est avérée décisive (j’ai eu le plaisir de connaître il y a 3 ou 4 ans, à l’occasion d’un dîner à l’initiative de Bernard dont j’ai partagé le vie pendant 15 ans, ce jeune homme d’environ 35 ans au physique plaisant , car ils étaient tous deux professeurs agrégés et amis, l’un d’histoire et l’autre de français, dans un lycée de Noisielle). Le journal s’est trouvé ainsi amputé d’une grande partie de sa substance, laissant la place aux descriptions de ses voyages, des tracas de la vie quotidienne dans son château de Plieux, au feuilleton de ses déboires financiers et à ses coups de cœur littéraires (rarement contemporains), musicaux et picturaux. Plus de sexe donc, si ce n’est quelques allusions très pudiques à sa vie de couple, l’homosexualité ni tient plus non plus une place significative (si ce n’est dans la préparation de son « anthologie de l’amour des hommes ») mais, troisième rupture, l’irruption lancinante de ses « obsessions » depuis la survenue de « l’affaire Camus » en 2000. Ces « obsessions » et la transparence qui est la règle de ce journal où tout est dit, y compris ce qu’il pense des autres font que Renaud Camus a peu d’amis («Si les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres, il n’y aurait pas quatre amis dans le monde» disait Pascal), certainement pas en tous cas dans la critique littéraire ou les milieux journalistiques et culturels qui l’ont « lynché » sous l’accusation d’antisémitisme lors de parution de « La campagne de France », journal de l’année 1994. « Je déteste mon époque, j’ai horreur de la classe qui y occupe tous les emplois, je trouve l’état de la société intolérable, et les valeurs qu’elle chérit le plus fort me soulèvent le cœur. Il aurait été bien étonnant que l’époque, la classe unique aux affaires et la société en place aillent me chercher pour me faire fête. ». Je suis loin de partager toutes les indignations de ce grand styliste, certaines tout de même comme le massacre de notre langue, qui est allé jusqu’à fonder son propre parti, « Le parti de l’Innocence » (dont il doit être l’un des seuls adhérents !), mais je prends un plaisir jamais démenti à le lire. J’ai trouvé aussi très souvent chez lui le même regard que le mien sur l’homosexualité et plus généralement la nature humaine. Le lire s’est aussi se promener à travers la France (parfois le monde), ses paysages et ses pierres, se laisser guider derrière son œil critique au long des musés qu’il arpente, découvrir ou redécouvrir tant d’œuvres musicales ou littéraires, le tout dans une langue magnifique.
Un beau portrait de l’écrivain par Jérôme Dupuy
http://www.lire.fr/portrait.asp/idC=51009
« Pour Maurras, la religion était le moyen de maintenir un certain ordre social. Assigneriez-vous la même mission à la culture ?
Oh, la barbe avec Maurras ! Maurras vous-même ! A part ça, la réponse est non. La culture est un précieux instrument de desserrement du lien social. Elle enseigne à vivre à contretemps, à échapper au mimétisme, à aller voir des tableaux au musée d'Agen un jour de semaine et pas au Grand Palais quand Télérama et le 20 Heures ont décrété qu'il fallait s'y précipiter ; à visiter des châteaux déserts et silencieux le jour de la Fête de la musique. Elle sert à forger cette chose si rare : des individus”
(Renaud Camus, extrait d’un entretien avec un journaliste du Point, été 2008)