Il y a plus de trente ans maintenant, sur le plateau d’ »Apostrophes », deux jeunes intellectuels, B.H.Levy et A.Glucksmann, avec leur « parrain », le philosophe catholique Maurice Clavel,
donnaient naissance dans une émission survoltée à ce qui allait devenir « La Nouvelle Philosophie ». Je ne sais si, comme on l'a parfois dit, cette aventure intellectuelle a changé le paysage
intellectuel français, moi, elle m’a changé. Le jeune homme que j’étais alors et qui venait de basculer d’un totalitarisme à l’autre, allait trouver dans ce mouvement qui faisait osciller
certains des « penseurs" de l’époque «entre le fou rire et l’indignation», une des clefs qui allaient lui faire abandonner ses structures mentales totalitaires. Né dans une famille pétainiste,
avec une tante, bâtonnier des avocats Bordelais pendant la guerre et qui fit deux années de prison à la libération pour ses écrits ou propos antisémites, j’ai eu en effet une jeunesse d’extrême
droite (d’où peut être, très tôt une vive sympathie, jamais démentie, pour François Mitterrand…). Le mouvement de Mai 68 constitua le premier ébranlement, car ma position schizophrène, du côté
des étudiants par antigaullisme viscéral, suivant leurs exploits toutes les nuits sur Europe n°1, mais me revendiquant fasciste, ne pouvait perdurer. Le catholique que j’étais, élève d'une école
religieuse renommée à Bordeaux ( et dont je fais toujours partie de l’association des anciens élèves, je dois beaucoup à l'éducation que j'ai reçue là…),cherchant une contre attaque au livre
brillant de Jacques Monod « Le hasard et la nécessité » qui faisait de l’homme un accident de l’évolution, allait tomber sur les écrits du biologiste et philosophe Henri Laborit, dont le
«Biologie et structure» constitua le fondement rationnel de mon basculement vers un gauchisme aussi intransigeant que ne l’était mon discours antérieur. Les mots qui scandaient mes propos avaient
changés, pas mes structures mentales…Ce retournement spectaculaire laissa ma famille sidérée et le marxisme sur ma droite, le traversant sans m’y arrêter. C’est alors qu'a surgi le mouvement des
«nouveaux philosophes» . « La cuisinière et le mangeur d’hommes », « La barbarie à visage humain » et surtout « Les maîtres penseurs » allaient m’enthousiasmer. «l’Ange», de Guy Lardreau et
Bertrand Jambet, qui avait comme sous-titre « Ontologie de la révolution, une cynégétique du semblant », m'avait fasciné ( la difficulté, l'hermétisme voulu de cette pensée y avait sans doute
contribué). Ce terme un peu pédant, mais il s’agissait de lacaniens, « Cynégétique du semblant », résume bien le changement de perspective : il ne s’agissait plus de défendre une «Vérité» érigée
en absolu qui devait s’ imposer aux autres, mais de faire la chasse à l’erreur, au faux, au «semblant». Il n’ y a pas de Vérité, mais il y a de l’erreur.
Les Nouveaux Philosophes, ou du moins ce qu'il en reste (BHL et A.G.) sont devenus des jouets médiatiques, ils ne marqueront certes pas l’histoire de la pensée, ils sont peut être maintenant les
« Nouveaux réactionnaires », ils n’en ont pas moins ouvert les yeux à beaucoup d'entre nous sur le phénomène totalitaire. Ils ont constitué pour moi un électrochoc même s'ils ne font pas partie
des auteurs, dont j'ai parlé dans un précédent billet, qui ont contribué à forger ma façon de voir le monde, Arthur Koestler, Henri Laborit, Edgard Morin, Stéphane Lupasco, Michel Foucault, René
Girard, Marcel Proust, Jean-Pierre Dupuy, Ivan Illich, Michel Serres, Bernard d’Espagnat. Je ne les lis plus ( sauf un article ici ou là d’A. Glucksmann, même s’il commence à me les « gonfler »
avec ses Tchetchènes…).