J’étais fort sceptique lorsque je constatais dans les sondages, il y a quelques mois, une approbation à plus de 60% du mariage gay et cela d’autant plus qu’il était à craindre que bien des sondés
n’aient pas réalisé qu’il en découlerait automatiquement une possibilité d’adoption. Je ne doutais pas que si la question était posée sous forme de référendum, l’avance du « oui », à l’image de
ce qui s’est passé pour celui sur l’Europe, fondrait comme neige au soleil au fil de la campagne, pour devenir minoritaire devant la coalition des « non». La large victoire législative des
socialistes, qui refusaient la voie référendaire réclamée par la droite, pouvait laisser penser que l’affaire « était dans le sac », au point que j’intitulais un de mes billets « Nous nous
marierons donc». Je m’attendais certes, nous avions l’antécédent de l’Espagne, à une mobilisation de l’Eglise catholique, du Front national et des tristes lurons de la droite populaire, sans
oublier cette chère Boutin, mais aussi à une neutralité « bienveillante» d’une partie de l’UMP échaudée par ce qui s’était passé pour le PACS. L’opposition du très catholique François Fillon
était écrite, mais Jean François Coppé n’avait il pas déclaré avant l’élection présidentielle que cette question le troublait et qu’il ne savait plus très bien où il en était…C’était sans compter
sur son ambition dévorante, un Sarkozy qui n’aurait pas de limites, et le conseil avisé -prendre la tête de la compagne anti mariage pour tous- de son nouveau maître à penser, en mal d’emploi
depuis la défaite de Nicolas, Patrick Buisson.
François Hollande, pas très à l’aise sur cette question et sans doute pas convaincu de sa pertinence, avait souhaité se débarrasser de cette promesse « encombrante» le plus vite possible et en se
limitant strictement à ce qui avait été promis. C’était sans compter sur une partie des députés socialistes qui, jugeant le projet insuffisant, en retrait sur les revendications militantes en
faveur de la procréation médicale assistée, peut-être plus concernés par la cause féminine que par la question gay, ont souhaité « prendre leur temps » pour pouvoir en discuter avec toutes les
partis prenantes et l' amender en ce sens, d’où un report de la discussion au parlement fin janvier, laissant ainsi, pauvres stratèges, le temps à l’autre camp de s’organiser et de profiter du
mécontentement qui monte contre la politique gouvernementale en le focalisant sur cette question. Le parti socialiste, et son premier secrétaire Harlem Désir, étrangement silencieux sur bien des
points depuis des mois, viennent enfin de s’apercevoir du danger , de décider de lancer une pétition nationale et d’appeler à rejoindre la manifestation en faveur du mariage le 16 décembre. Tout
cela est bien tardif, trop tardif, d’autant plus que bien des militants socialistes nous perçoivent eux aussi comme « des animaux étranges» et ne défendent notre cause que contraints par leur
idéologie égalitariste. Un abandon du projet ne devrait pas les chagriner outre mesure.
Cet abandon est il possible? On ne peut plus l’exclure si, du fait de l'affaiblissement de l’exécutif, la manifestation des «anti», prévue à la mi-janvier, a un succès du même ordre que celle
pour « l’école libre » sous François Mitterrand. Il est donc capital que celle des « pros », dimanche 16 décembre, soit aussi massive que possible et pour cela il est impératif, c’est presque un
devoir moral, que les principaux concernés, si nombreux à Paris, soient présents. Mais si le Vatican a plus de légions qu’on ne le croit, fussent-elles composées de mercenaires, en avons-nous ?
Combien d’entre nous sont-ils réellement prêts à descendre dans la rue ? A-t-on la moindre idée de la façon dont nous répartissons par rapport à la question du mariage ? On pourrait tenter une
esquisse de classification, les catégories envisagées n'étant ni exhaustives, ni exclusives les unes des autres :
* Les « pour » :
- Les militants : membres des différentes associations, LGBT en tête, ils ne sont qu’une infime minorité
- Les héritiers d’Arcadie et de Jean-Louis Bory, chantres du droit à l’indifférence, le mariage est pour eux un jalon essentiel de la « normalisation », de la marche vers le « grand soir ». Ils
sont sans doute nombreux, mais combien d’entre eux, soit parce qu’ils n’ont pas fait leur « coming-out», soit parce qu’ils ne veulent pas se mêler à la partie la plus visible d’entre nous qui «
fait du mal à notre image », oseront venir manifester ?
- Les héritiers de mai 68, anciens militants du FHAR ou autres, pour qui le mariage gay serait une façon de « dynamiter » l’institution. Quoiqu’en pense Eric Zemmour, ils sont en voie de
disparition.
- Les « utilitaristes», ils vivent ouvertement en couple, souvent pacsés, et ils voient tous les avantages qu’ils pourront tirer de la loi (héritage, pension de réversion), mais une union civile
aurait suffi à leur bonheur. Si l’on en juge par le nombre de pacs entre personnes du même sexe, ils ne sont pas légions.
- Les « résignés», ils ont souvent vécu la période de « libération sexuelle», parfois en militants, l’idée même d’un « mariage » les aurait fait éclater de rire dans les années 80 et s’ils
regrettent que cette revendication ait éclipsé d’autres luttes au moins aussi essentielles à la cause gay, s'ils considèrent le droit à l'indifférence comme une utopie qui pourrait conduire à des
compromissions, ils n’en sont pas moins des ardents défenseurs de l’égalité des droits, quel que soit le nom qu’on lui donne, mariage, union civile ou autre, et surtout ils considèrent que le
retrait de ce projet de loi serait dramatique et apparaitrait comme un recul fondamental de la cause pour laquelle ils se sont toujours battus. Ils ne doivent plus être très nombreux.
- Les gays en mal de paternité (ou de maternité), désir qui me semble assez marginal chez les homosexuels masculins (en dehors des bi, mais ceux là n’ont pas besoin du mariage gay !), mais qui ne
doit pas être rare chez les lesbiennes.
* Les « contre» :
- Les héritiers de mai 68 qui, comme Benoît Duteurtre, souvent passés à droite, n’ont retenu de leur ancien engagement que leur combat pour la libération sexuelle et considèrent la revendication
du mariage comme « petite bourgeoise ». Je crains qu’ils ne soient plus nombreux qu’on ne le croit… Parmi eux quelques « schizophrènes » qui comme Dave sont contre le mariage , mais pour
l’adoption!
- Les militants gays de droite, voire d’extrême droite, au nom de leur idéologie réactionnaire axée sur les « valeurs « de la famille. Certains sont peut être sincères, les autres bien peu
sympathiques…Combien sont ils ?
- Les catholiques «pratiquants», certains jusqu’à prôner l’abstinence…En connaissez vous à part Philippe Arino (je renvoie au billet de Dorant) ?
- Ceux qui, comme Renaud Camus, refusent de se prononcer sur une question « dérisoire » et « puérilo-sénile» (voir communiqué de son parti en fin de billet…) et les "esthètes" nostalgiques d'une
homosexualité vue comme une race supérieure.
A ces deux catégories bien identifiées, il faudrait sans doute ajouter la masse des indifférents, ceux pour qui la question du mariage ne se pose pas, soit parce qu’il ne saurait être question
pour eux de se reconnaitre « ouvertement» homosexuel, soit parce qu’ils ne considèrent l’homosexualité que comme une "pratique" sexuelle qui doit rester du domaine du privé, soit parce que la vie
en couple n’est pas leur horizon.
Je descendrai donc dans la rue pour la deuxième fois le 16 décembre, la première remontant à la manifestation contre la deuxième place de Le Pen en 2002. J’espère que vous serez nombreux à le
faire.
« Le parti de l’In-nocence refuse de se prononcer sur la question du dit “mariage gay” car il estime ce débat et ses enjeux profondément dérisoires au regard du changement de peuple en cours et
du remplacement précipité de notre civilisation par une ou plusieurs autres qui de toute façon, à peine auront-elles établi tout à fait leur emprise, s’empresseront de mettre fin à pareilles
fantaisies puérilo-séniles.
Le parti de l’In-nocence a trop de considération pour toutes les expressions in-nocentes du désir et de l’attachement au monde sensible ; il éprouve trop de respect pour l’amour des hommes entre
eux, des femmes entre elles ; il est trop conscient de la grandeur, de la poésie, du souffle de liberté et de défi qui ont été attachés à travers les siècles à ces passions-là, constamment
traduites malgré la répression et la tragédie en de grandes œuvres et de grands bonheurs ; bref il a de l’homosexualité une trop haute idée pour la voir sans tristesse s’humilier dans l’imitation
kitsch de l'hétérosexualité et de ses rites au moment où elle les délaisse, de réclamer ses restes, en somme, de se compromettre dans la revendication petite-bourgeoise de petits droits vidés de
leur raison d’être dans la structure sociale, réduits à une jouissance purement mimétique agrémentée de légitimations purement comptables — tout cela au nom d'une “égalité” hystérique élevée au
rang d'idole, la même qui a déjà détruit l’école et l’ensemble du système de transmission culturelle.
Le parti de l’In-nocence ne se laissera pas entraîner dans un débat qui lui semble relever par excellence de ce désir profond du corps social d'être diverti sans arrêt par des “débats”
secondaires, souvent grotesques comme c'est le cas en l'espèce, qui lui permettent de ne pas voir, ne pas dire, ne pas ressentir et encore moins analyser les maux véritables qui l’assaillent, et
face auxquels les dirigeants sont également aveugles, impuissants ou complices. »
(Communiqué du parti de l’In-nocence, 9 novembre 2012)