L’après midi de ce 10 mai me parût interminable. J’avais essayé de tuer le temps en m’enfermant dans une salle de cinéma en dépit du beau temps sur
Bordeaux. Certes les sondages de la semaine précédente étaient favorables à Mitterrand, mais son avance n’était pas décisive et surtout nous n’arrivions pas à imaginer qu’une victoire fût
vraiment possible après 25 ans d’échec et l’immense déception des législatives de 1978 alors que les sondages donnaient la gauche largement victorieuse. Les visages fermés des duettistes de la
soirée, Jean Pierre Elkabbach et Etienne Mougeotte me donnaient cependant quelque fol espoir. Je ne saurais décrire l’immense émotion qui m’a submergé lorsque le visage de François Mitterrand est
apparu sur l’écran, surpassant de loin celle pourtant très intense que j’avais ressentie lors de la défaite de De Gaulle au référendum de 1969.
Je regrette encore de n’avoir pas, par pudeur, dès les premiers coups de klaxon, rejoint la foule qui se pressait au centre ville et participé à la
fête, ni osé ouvrir une bouteille de champagne. Je vivais alors ma deuxième expérience de couple avec un charmant garçon de 22 ans (j’ai conté ailleurs cette histoire :
http://limbo.over-blog.org/article-pierre-jean-fin-des-annees-d-insouciance-45934152.html) qui avait, ce n’était pas son sel défaut, des opinions politiques fort éloignées des miennes puisqu’il
était membre de ce qu’on appelait alors, si ma mémoire est bonne, l’UDR , le parti dit « gaulliste ». Pendant que je n’arrêtais pas d’essuyer mes larmes de joie, il participait au dépouillement à
la mairie de Bordeaux dont il était un des agents municipaux... Il est rentré et s’est mis au lit sans m’avoir adressé le moindre mot.
Il est difficile d’imaginer aujourd’hui le traumatisme que cette victoire a provoqué dans l’autre camp, quand ce n’était pas la haine et la peur.
Une anecdote personnelle en témoigne : le lendemain lorsque j’arrivais à Pau pour un remplacement prévu de longue date, j’eus la surprise d’être accueilli par l’épouse du neurologue que je
remplaçais ; ils n’étaient pas partis en vacances comme prévu, et elle m’annonça, en soupirant, que son mari était barricadé dans sa chambre, le fusil à la main, attendant l’arrivée des chars
russes ! Ce n’était pas un cas isolé, une partie de la bourgeoisie était entrée en transe paranoïaque.
Comment oublier la folle ambiance des semaines qui ont suivi et le vent de liberté qui flottait sur la France, l’irruption des radios libres dont
celle du PS local où je participerais bientôt à l’animation de l’émission homosexuelle « Framboise et citron », l’abolition de la peine de mort (les premiers mots de Danielle Mitterrand à
l’annonce de la victoire de son mari furent, si l’on en croit les témoins, « je pense aux X personnes qui ne vont pas mourir »), rien que cela aurait suffit à justifier mon vote, la
dépénalisation totale de l’homosexualité, la circulaire Deferre abolissant le fichage et le contrôle des homosexuels (mes fréquentes incursions dans les cars de flic sur les places de drague
allaient me manquer....), etc. Cette même année était fondée l’Association des Médecins Gays à laquelle j’adhérais l’année suivante.
Douce nostalgie d’une époque où les choix politiques s’imposaient à moi sans l’ombre d’une hésitation, en partie il est vrai en raison de ma
fascination pour un homme politique exceptionnel, fascination qui remontait à sa première campagne présidentielle lorsqu’il s’était opposé à De Gaulle en 1965. Elle ne me quitta jamais même si
sur le plan de la politique économique je me sentais bien plus proche de la « deuxième » gauche incarnée par Michel Rocard et Edmond Maire, le leader de la CFDT.
30 ans plus tard je ne suis pas encore certain ni du camp, ni de la personne pour laquelle je voterais, et même si le finaliste du PS se trouve être
DSK ou Hollande, le vote se fera sans enthousiasme...
PS : merci de me dispenser des commentaires, s'il devait y en avoir, sur le côté "obscur" de Mitterrand, sa part "d'ombre" et autres lieux communs
Edwy Plenneliens que je connais tous par coeur....