J’ai finalement du me résoudre, hier en milieu d’après midi, à laisser ma voiture dans le parking de mon entreprise, sur les hauteurs de Rueil-Malmaison, pour tenter de rejoindre gare RER A et de regagner mon domicile, à pied pour les cinq cent derniers mètres, la ligne 6, aérienne, ne fonctionnant plus. Vaste éclat de rire en arrivant chez moi, lorsque j’ai entendu, « dans le poste », Brice Hortefeux déclarer qu’il n’y avait pas de problème! Boorlo, il y a peu, nous avait raconté une histoire de ce type lorsqu’il devait problématique de trouver la moindre goutte d’essence. Dans quel monde ces gens là vivent ils? Celui-ci y a peut être perdu sa future place de premier ministre, mais il est à craindre que celui là soit indéboulonnable…Coup de chance, la gare de Lyon était à deux pas pour mon déplacement du jour à Besançon. Je n’aurai plus qu’à aller récupérer ma voiture demain en RER, avant, si l'accalmie perdure, de donner un cours samedi matin sur le développement des médicaments ,dans le cadre du plan Alzheimer, puis de m’envoler pour Barcelone dans l’après midi pour une conférence, avant de rejoindre Zurich lundi, simple aller-retour, pour une réunion dans un hôtel de l‘aéroport…
Ces déplacements me laisseront le temps nécessaire pour achever la lecture du journal de l’année 2009, "Krakmo" , de Renaud Camus. En un peu plus d’un an nous aurons eu la parution des années 2006, 2007, 8 et 9...On se rapproche du "live".
L’échec de sa candidature à l’Académie Française occupe largement le premier tiers du journal 2009. Cet échec, même si il était conscient que ses chances étaient quasi nulles, semble l’avoir profondément affecté, surtout le fait de n’avoir recueilli que trois voix, six de moins que lors de sa précédente tentative. La narration des rencontres qu’il a du s’imposer lors de sa "campagne électorale" sont souvent savoureuses, notamment celle avec Valérie Giscard d’Estaing (mieux que Wikileaks…). Marc Fumaroli, pourtant favorable à sa candidature, l’avait pourtant mis garde, son nom « aux abords de la Coupole, produirait à peu près l’effet de celui de Faurisson ». L’auteur semble alors exprimer comme un regret (se référer à la citation en fin de billet), non sur le fond de ce qu’il a écrit dans son journal de l’année 1994, « La campagne de France », et qui allait déclencher la cabale que l’on sait, mais sur le fait d’en avoir gravement sous estimer les conséquences. Il semble notamment particulièrement lucide sur le fait que c'est moins ses propos en eux même que la tentative d’autojustification qui les suivait qui a tout déclenché. J’ai en effet eu la chance, me procurant chaque tome du journal dès sa parution, de lire la version originale avant qu’elle ne soit retirée de la vente et ne réapparaisse que dans une version expurgée. J’avais lu sans sourciller le passage incriminé, et qui dénonçait le caractère communautaire, juif, d’une émission de France Culture, mais j’avais éprouvé une certaine gêne à la lecture de la longue explication qui s’en suivait et qui se défendait de tout antisémitisme. La question se posait donc? Cela ne m’avait même pas effleuré l’esprit tant j’étais familier de ses textes, mais d’autres l’étaient moins….
Ce qui semble l’avoir le plus mortifié , c’est que Pierre, son ami, le jour de l’élection, rentrant tard ce soir là après un conseil de classe, ait oublié de lui en demander le résultat. « C’était exactement comme si moi j’avais oublié…quand il passait l’agrégation, le jour des résultats, de l’interroger sur le sien ». On subodore même comme un soupçon d’une « aventure » qui pourrait expliquer ce fatal oubli : « aujourd’hui aussi il est rentré tard, c’est la saison des conseils de classe ». Ce passage m’a particulièrement marqué car il m’a remis en mémoire mon attitude le jour où j’ai su, du temps où j'étais avec Bernard (ancien collègue de Pierre, avec lequel il avait sympathisé lorsqu'ils professaient au lycée de Noisielle), qu'il était reçu à l’agrégation de lettres. Certes je n’avais pas oublié de lui en demander le résultat, loin de là, mais je n’avais pas ressenti, ni manifesté l’enthousiasme qui s’imposait, l’esprit trop occupé par la relation passionnelle, qui fût sans lendemain, avec un jeune homme que j’avais rencontré le week-end avant au Quetzal , et dont j’étais sans nouvelle.
La teneur du journal est de plus en plus sombre, ses obsessions quant aux manières et aux mœurs de notre époque omni présentes ("égalité ou culture, il faut choisir"), sans parler de son hypochondrie et des manifestations psychosomatiques qui l’assaillent (il est vrai qu’il n’est pas aidé par son généraliste, qui diagnostique, sans examen, une arthrose cervicale devant des manifestations vertigineuses et lui prescrit des placebos remboursés par la sécurité sociale…« ne soyez pas malade", disait un de mes maîtres, "et si vous l’êtes, surtout ne le dîtes pas »). Renaud Camus note que l’année 2009 marque les 10 ans de sa rencontre avec Pierre. Ce fût un tournant pour le journal, disparition de la narration de ses "tricks", les notifications répétitives de son goût pour les « poilus/moustachus » ayant été remplacées par celles qui vantent l’excellence des petits déjeuners dans les Hôtels Mercure. Il n’empêche, le plaisir de lecture est toujours là, même quand parfois affleure l’ennui devant les longues descriptions des lieux visités dans le cadre de la préparation de sa série d’ouvrages "les « Demeures de l’esprit ».
"Ah, je pensais bien que j'allais m'attirer des ennuis, ce jour de 1994, il y a quinze ans, où dans mon journal, ce journal-ci, je me suis mis à relever ce qui me semblait, et me semble encore, un net abus dans la gestion d'une émission de France Culture (et pas du tout de France Culture en soi, comme on le voit écrit partout depuis lors). Une émission censée être généraliste prenait jour après jour un tour nettement "communautaire", je ne voyais pas pourquoi on n'aurait pu le relever. Et si, pourtant, je voyais bien pourquoi. Mais qu'on ne le pût pas, c'était précisément ce qui me semblait impensable qu'on le fît. L'abus, à mes yeux, n'était pas tant l'abus en soi, d'une nature plutôt comique et en tous cas sans gravité, à vrai dire, que cette impossibilité même qu'il y ait à le relever. Et je savais bien que, le relevant, je m'exposais à de graves dangers. C'est pourquoi j'ai assorti ce procès-verbal d'abus de considérations sur sa légitimité qui m'ont valu encore plus d'ennuis que lui-même. Et bien que j'entrevisse clairement ces ennuis, je n'imaginais pas que c'était ma vie même - non pas ma vie physique, mais la tranquillité de mon existence -, que je mettais en cause et, semble-t-il, à jamais."
(Renaud Camus, Krakmo, journal 2009, Fayard 2010)