Séville était déjà à l’heure du printemps, 18 degrés sous le soleil. Une semaine de séminaire, peu de temps pour visiter la ville, d’autant plus que notre hôtel
était plutôt excentré, mais j' ai déjà eu maintes occasions d’en découvrir les merveilles architecturales. Grindr et gayromeo, logiciel et site manifestement très populaires ici, les andalous se
révèlent fort "chauds", ne m’ont pas incité à tenter de vérifier si la vie nocturne de cette ville était toujours aussi morne, l’Andalousie n est pas la Catalogne. Il m’a un instant effleuré
l’esprit que je n’en reviendrai peut être pas. Une demi-heure après notre décollage, après m’être assoupi, j’ai découvert avec un étonnement inquiet, à travers le hublot, que nous volions
anormalement bas. Les signaux de bouclage des ceintures étaient toujours allumés alors qu’il n’y avait aucune turbulence et aucun Stewart ou hôtesse (on dit PNC maintenant…) n’était présent dans
les couloirs. Il ne faisait aucun doute pour moi que nous avions un problème. Après quelques longues minutes pendant lesquelles j’ai préféré ne pas transmettre mon inquiétude à mes collègues,
l’avion a recommencé à prendre de la hauteur, au moment où le commandant de bord nous annonçait que nous retournions sur Séville en raison d’un problème technique maintenant contrôlé, la non
rétractation du train d’atterrissage, mais dont la résolution avait entrainé une consommation trop importante de carburant pour que nous puissions atteindre Orly…Après quatre heures d’attente à
l’aéroport nous avons finalement pu repartir, sur le même avion…
Du temps donc pour parcourir la presse, nous étions au lendemain de la prestation, que je n’ai pas vue, de François II face à Juppé, et découvrir la panique qui
semblait parcourir le Sarkoland, que l'interview de son champion dimanche soir n’a pas du rassuré. Plusieurs articles étaient consacrés au vote gay. Didier Lestrade, fondateur d’Act-up et
Ayatollah de la capote, va publier un essai intitulé « Pourquoi les gays sont passés à droite ? », alors qu’un sondage fait selon les règles vient au contraire de révéler que la communauté
homosexuelle était plutôt ancrée à gauche même si le Front National obtiendrait des scores comparables à ceux de la population générale. Didier Lestrade y voit une conséquence de la
mondialisation et du virage « anti communautariste » : « les gays et lesbiens farouchement anticléricaux et libertaires font front commun avec les laïcs les plus durs et se mettent à défendre
sans complexe l’Occident libéral et ses valeurs face à l’intégrisme musulman ». Une nouvelle génération de gay se désintéresserait ainsi du combat politique et communautaire (dont la lutte contre
le sida) et ne serait plus obsédée « par ses privilèges, son prestige, son argent…individualisme et consumérisme forcenés gagnent peu à peu la communauté ». Pour lui « la réapparition d’une
homosexualité de droite est très clairement associée à ce refus catégorique du coming-out ». Il faut être conscient que dans l’esprit de Didier Lestrade, « coming-out » doit être entendu dans son
sens large de revendication du droit à la différence : « on a cessé de penser que le fait de s’affirmer gay en tant qu’homosexuel était le moteur du changement et de la pensée gay ». On pourrait
trouver là une certaine parenté de pensée avec ce qui a parfois été exprimé dans certains billets de ce blog mais je ne suis pas sûr que l’analyse soit pertinente.
D’une part cela semble démenti par le sondage en question si l’on en croit les réponses données par les 6.5% qui s’avouent homo ou bi-sexuels. On pourrait certes
objecter que l’échantillon est biaisé, par « l’aveu » de l' orientation sexuelle, en faveur des adeptes du « coming-out », sensés être majoritairement de gauche (de quel côté penchent ceux qui
n’on t pas reconnu leur sexualité?). N’est-il pas par ailleurs quelque peu abusif d’assimiler l’évolution d’une revendication du droit à la différence à celle du droit à l’indifférence à une
dérive droitière? J’ai une inclinaison naturelle à partager cette opinion mais je dois reconnaitre que bien que restant un partisan pur et dur du « droit à la différence » je me situe, si j’en
crois certains commentaires des billets de ce blog, bien moins à gauche que la « nouvelle génération gay », bien moins en tous cas que je ne l’étais dans la période qui a précédé mon
«coming-out».
D’autre part peut-on vraiment parler de la « réapparition » d’une homosexualité de droite? Sans doute est il fait allusion à la période qui a précédé la «
révolution gay » et au mouvement Arcadie, plutôt marqué à droite, qui revendiquait le droit à « l’indifférence». Pourtant j’ai toujours rencontré chez les homosexuels la même diversité politique
qu’ailleurs. Mon premier ami, petit commerçant, raciste, xénophobe et franchement poujadiste a sans doute fini par voter Front National (en ce temps la ce parti n existait qu’ à l état
embryonnaire), le second, employé de mairie, était militant RPR, le troisième , patronier-modeliste, bien trop occupé par le choix de ses tenues pour ses soirées , ne se souciait pas de ces
choses là, le suivant, khâgneux au moment de notre rencontre était sympathisant socialiste, quant à Bertrand, si je l ai connu chiraquien, il vient de voter Hollande à la primaire. N’ai-je pas
été le spectateur effaré d’un « ça pue le juif ici» lancé lors d’un diner quelques jours après notre rencontre en 1989, par un amant brillant ingénieur en informatique qui fit par la suite une
carrière fulgurante (je suis toujours en contact avec lui mais il n’est heureusement plus depuis longtemps dans cet état d’esprit, il s’est retiré en province avec son ami pour acheter un bureau
de tabac…). Il n’y a pas plus de gays de droite qu’hier, mais ils s’avouent plus souvent homosexuels….
La logique voudrait que les homosexuels s’interdisent d être racistes alors que tant d’entre eux ont été (et sont souvent encore) victimes du pire des racismes,
celui qui s’exerce au sein même du milieu familial, et se détournent de formations politiques qui se sont systématiquement opposées à leur reconnaitre d’autres droits que celui de rester dans
l’ombre, mais c’est bien plus origine et niveau social (la bonne vieille lutte des classes) ainsi que le milieu culturel dans lequel on baigne qui influencent l’orientation politique que
l’orientation sexuelle. « Mon argent plutôt que mes droits ».
Le dernier film de Clint Eastwood, qui semble avoir retrouvé la main, nous donne un édifiant portrait d’un homosexuel de droite, Edgar J. Hoover. J’ai été
fasciné par ce personnage aussi peu sympathique que complexe (une caricature pour psychanalyste!) et quelque peu touché par cette histoire d’amour. J’ai été beaucoup moins enthousiasmé par « The
descendants », autre film après « Shame » infesté de moralisme anglo-saxon, ici c’est l’adultère qui est visée, heureusement sauvé par une galerie de seconds rôles hauts en couleur qui font de ce
qui se voulait une tragédie un film comique.