La fin du confinement a permis le retour d’une certaine vie culturelle, certes encore bien limitée, avec la réouverture des salles de cinéma, malheureusement peu fréquentées étant donné la psychose virale ambiante entretenue par les médias, et quelques sorties littéraires. Le hasard est sans doute le seul responsable si les oeuvres qui m’ont le plus touchées, tournent autour des années 80, point culminant de la libération gay, dont la mienne, mais aussi début des années de cendre. Le film d’Ozon, Eté 85, m’a bouleversé, le souvenir de ces années où je vivais pleinement une homosexualité assumée avec frénésie, leur musique toujours aussi présente, mais avant tout parce que cette dramatique histoire d’amour entre deux adolescents ne pouvait manquer d’évoquer la mémoire d’Hervé et la passion dont il avait été l’objet et à laquelle j’ai consacré plusieurs des premiers billets de ce blog. Certes David, le héros du film, diffère en bien des points d’Hervé, dont la fin tragique n’est survenue que des années après notre rupture, si ce n’est cette impossibilité de supporter que l’autre avoue son amour, aveu alors considéré comme un enfermement déclenchant un processus inexorablement destructeur. En dépit du destin funeste de David, l’image que donne le film de l’homosexualité est bien celle de la libération des corps , du jouir sans entrave et dans l’acceptation de soi, avant que tant des acteurs de ces années libératoires ne tombent comme des mouches.
Le « cancer gay », comme on le dénommait au début de la décennie 80, n’avait sans doute pas encore atteint le Treport où se situe l’action du film. Il est au centre du très beau roman de Rebecca Makkai, « Les Optimistes », qui se déroule à Chicago, en cette même année 85, puis 30 ans plus tard à Paris, au sein d’un groupe d’amis, artistes ou journalistes pour la plupart, dont la vie va se trouver fracassée par l’épidémie du sida, dont l’histoire est ainsi retracée, depuis son émergence en 1981, la découverte du virus en 1983, les premiers tests de dépistage en 85, le premier traitement, si peu efficace, l’AZT, en 87 et enfin l’arrivée salvatrice des trithérapies en 96. Comment ne pas me remémorer ces années tragiques, dont je ne sais comment, multipliant pourtant les contacts sexuels, j’ai pu échapper à une contamination, et ces amis disparus, Claude, Cristian, Jacques et tant d’autres sans doute, amants d’une nuit, dont j’ai perdu la trace. Une question, si présente à l’époque, lancinante, émerge à travers le personnage d’Asher, celle de la pertinence de faire le test de dépistage qui venait d’être mis au point : « Ecoute, on est tous condamnés à mort…on ne sait pas quant ce sera. Un jour, cinquante ans? Tu veux réduire la perspective? Tu veux te donner des sueurs froides? ». J’ai fait partie de ceux qui comme Asher, ont refusé de faire le test tant qu’un traitement efficace ne serait pas disponible. Une positivité aurait été non seulement un possible arrêt de mort, mais aussi, bien souvent, une exclusion de la vie sociale à la fois due au regard des autres et aux conséquences administratives ( perte d’emploi, impossibilité de s ‘assurer, d’obtenir un crédit). Un de mes amants d’alors, qui manifestement repoussait sans cesse tout nouveau rapport sexuel avec moi, finit par me dire, abattu: « Je suis positif. Tu avais raison, Jean-Jacques, je n’aurais pas du faire le test ». Je ne sais quel fût son destin.
Ayant également pour cadre, comme dans le film d’Ozon, une plage au bord de l’océan, celle du Vieux Boucau dans les landes, pas très loin de la célèbre plage de drague gay dite « des casernes » où il m’est arrivé de m’envoyer en l’air, il y a bien longtemps, un autre film, un de ceux qui vous hante longtemps après les avoir vus, a marqué cette rentrée cinématographique, « Madre », de l’espagnol Rodrigo Sorogoyen, histoire d’amour pseudoincestueuse, qui ne franchit cependant jamais les limites, entre un mère qui pleure son fils disparu et un adolescent dans les traits duquel elle le revoit. Comment ne pas être séduit par le personnage pasolinoviscontien interprété par Jules Poirier, déjà vu dans le rôle de Marvin jeune dans « Marvin ou la belle éducation » et par le personnage de Maria, la mère, brillamment porté par Marta Nieto?
Il serait dommage de ne pas signaler un autre film, « Le colocataire », certes plus mineur, mais qui traite avec intelligence de la difficulté des amours homosexuelles dans la société argentine, qui plus est en milieu ouvrier. L’histoire d’amour impossible entre les 2 héros, dont les corps nus sont très sensuellement filmés par Marco Berger, a le mérite de ne pas sombrer dans les clichés habituels avec le refus du colocataire, Gabriel, de se soumettre aux concessions exigées par son amant qui refuse de vivre leur liaison en pleine lumière.