
Il y 3 ou 4 ans, à la suite d'une erreur dans une adresse internet (un ami à elle , prêtre, a une adresse mail quasi-identique à la mienne), j'ai communiqué par mail avec une dame d'une soixantaine d'années, membre et animatrice d'une association catholique. Mon éducation catholique a contribué à une poursuite de cette correspondance. Bien sûr je lui ai dit mon homosexualité et elle a voulu en savoir plus. Je lui ai alors envoyé cette longue lettre :
"Non l'orientation masculine de mon désir ne m'a jamais posé problème (ce qui ne veut pas dire que je n'ai pas été troublé quand j'ai commencé à en prendre conscience vers 12-13 ans), mais la sexualité, au sens physique, oui. Ma timidité (majeure dans l'adolescence) et mon manque d'information sur la question (peu à l'ordre du jour d'une éducation catholique dans les années 60!) auraient déjà rendu une première relation hétérosexuelle difficile, alors homosexuelle...Si l'on excepte une relation furtive et mal vécue à 18 ans, je n'ai commencé ma vie sexuelle qu'à 27 ans. D'où cette impression persistante de n'avoir jamais eu 20 ans. En dépit d'une sexualité exacerbée, je ne savais tout simplement pas comment m'y prendre pour rencontrer des hommes...Je venais de passer ma thèse de médecine lorsque je suis tombé sur un article du Point qui faisait état d'un cinéma parisien spécialisé dans les films homos, et il était clair, entre les lignes, qu'il s'agissait d'un cinéma de "rencontres" ( ce cinéma, rue Vivienne a aujourd'hui disparu). J'ai pris le 1è train (ou presque) pour Paris, puis après avoir déambulé toute une après-midi devant le cinéma en question, j'y suis entré, un certain 15 avril (ma seconde naissance). J'y ai rencontré un jeune homme que m'a fait jouir trois fois en quelques secondes et avant même d'avoir une érection, j'étais en état de transe. Il m'a amené boire un verre à la sortie du cinéma, puis à force de me parler de Dieu a réussi à m'amener chez lui (il lui a bien fallu deux heures pour me faire céder, tellement j'étais angoissé). En me décrivant "les lieux de rencontre" il ne se doutait pas qu'il ouvrait pour moi la boîte de Pandore ...et pour lui le début de la fin. J'étais sa "rencontre d'une vie", je l'ai détruit, il s'est fait prêtre depuis. Je repartais sur Bordeaux me croyant amoureux, mais sachant maintenant comment rencontrer des hommes; la liste devait être longue.
Jusque là je vivais chez mes parents, mais l'enfant sage, toujours premier en classe ( j'étais puni quand je n'étais pas dans les 3 premiers, alors que mon frère, plutôt mauvais élève était récompensé quand par hasard il avait un bon résultat), s'est mis à découcher et à recevoir de nombreux appels téléphoniques masculins. Ma mère m'a posé la question qu'il ne fallait pas poser ( si elle ne voulait pas entendre la réponse qui fût un brutal "oui"). Ce fut le drame, crise d'hystérie de mon père (sa virilité "bafouée"), peur inouïe de ma mère du "quand dira t'on", et toute la panoplie classique ("on va te faire soigner"). Même s'il n'a jamais été question pour mes parents de me mettre dehors, la vie devenait difficilement respirable. Un an plus tard, j'ai saisi l'occasion d'une rencontre enfin durable (il ne s'agit pas du B. avec qui j'ai vécu 15 ans) pour annoncer mon départ à ma mère. Drame à nouveau avec chantage : on ne financerait plus mes études ( je terminais ma spécialité de neurologie); ma grand-mère, témoin de la scène, m'a pris à part pour me dire qu'elle se substituerait à mes parents sur ce plan. Je suis donc parti.
Cela vous surprendra peut être mais j'ai assez peu souffert de cette situation. Depuis ce fameux 15 avril je n'étais plus tout à fait le même. En fait, je vous l'ai déjà dit je crois, je me suis toujours senti plus proche de mes grands-parents maternels que de mes parents. Je vais sans doute vous choquer, mais j'ai toujours pris mon père pour un médiocre (il est vrai que mon Grand-père ne me contredisait pas!) et ma mère m'aimait d'un amour si possessif qu'il l'absorbait trop pour voir que j'existais. J'aurais certes préféré que les choses se fussent passer autrement mais leur réaction ne m'a pas surpris, conforme à l'image que je me faisais d'eux (ne vous méprenez pas, je ne leur reproche rien, j'avais de l'affection pour eux et je n'ai jamais douté de leur amour pour moi). Avec le temps et le la maladie de ma mère les choses se sont arrangées. Ce que ma mère supportait le moins ce n'était pas mes relations sexuelles ( une perversion pour elle qui éveillait même une certaine curiosité, voire une excitation, car elle était très sexuelle) mais que je puisse aimer un homme; elle n'est jamais venue chez moi s'il y avait mon ami. Cela m'était indifférent. Avec un peu plus de temps cela ce serait surement arrangé ( mon frère venait d'avoir son premier enfant) mais elle est morte avant; quant à mon père, la solitude, à la mort de ma mère, renforçant sa lâcheté il sollicitait même de me voir avec B.
Ma brutale "libération" a provoqué quelques excès ( en fait j'étais fier d'être homosexuel, je me sentais supérieur, et la provocation que je maniais volontiers sur le plan politique (sur ce plan je n'étais pas timide) a trouvé un nouveau terrain dans mon homosexualité affirmée) qui ont culminé avec la fondation d'une association homo sur Bordeaux ("Les Nouveaux Achriens") début 80, en même temps qu'à l'animation d'une émission "Framboise et citron" le mercredi soir sur la radio nouvellement "libre" du parti socialiste et à l'adhésion à "L'Association des Médecins Gays" (dont je fais toujours partie, même si j'y suis un peu marginalisé du fait de mon désaccord sur le "tout" prévention quant au Sida).
Venons en au désir. Loin de moi l'idée de ne lier le désir qu'au physique! Je ne vous aurais pas conseillé de lire René Girard ( ou Proust qui a tout dit sur le désir) dans ce cas. Il se trouve que du fait même de la "logistique" des rencontres homosexuelles (internet a peu modifié cela) le sexe précède très souvent l'affectif. Ceux qui n'arrivent pas à se faire à cette règle (j'en connais!) sont souvent destinés à souffrir seuls...Il peut même arriver que tout se passe sans qu'une seule parole soit échangée. Il est vrai qu'au delà d'un certain âge, si l'on a pas pris soin de se conformer aux critères du marché ( mince, musclé etc..) les rencontres deviennent plus difficiles. L'homosexuel vieillissant seul n'est pas un mythe : les couples, qui n'ont pas le ciment de la "famille" se dissolvent souvent et avec le temps on n'est plus considéré comme désirable. J'ai eu longtemps peur de vieillir (j'étais de ceux qui pensaient " plus de 30 ans s'abstenir", même si mon éducation catholique m'empêchait de le dire), ce n'est plus le cas. Il faut dire que les choses ont tout de même évoluées depuis la "libération" des années Mitterrand.
Je vais peut être vous étonner mais j'ai une certaine nostalgie de l'avant Mitterrand, cette époque où je me retrouvais parfois dans un car de flics pour vérification d'identité du fait de ma présence dans un lieu de drague ( "les tasses").Il y avait une certaine solidarité homo alors que maintenant tous les clivages hétéros sont reproduits ( les boîtes pour les jeunes, pour les riches etc..). Ils veulent même se marier! Victoire de la culture hétéro sur toute la ligne, cette culture que nous voulions faire exploser dans les années 80 : "homosexualité fer de lance de la révolution"... c'est bien fini. Et c'est sans doute bien ainsi pour les jeunes "gays" qui espèrent cette reconnaissance sociale dont les plus faibles (la majorité) ont tant besoin.
Pourquoi être si souvent dans le milieu gay? D'abord c'est dans le milieu hinarce ( hétéro) que je suis le plus souvent : au travail, pour faire mes courses ( que je ne fais pas dans le marais!) et ainsi de suite ..Je n'ai pas de problème avec les hétéros mais, comme après un long séjour à l'étranger, je suis heureux de revenir chez moi...Il se trouve que tous mes amis sont homos. Les circonstances, et aussi un certain choix, une certaine misogynie, l'ont voulu ainsi. Je suis de ceux qui croient qu'il y a une "culture homo", au sens large du mot culture, qui est encore plus éloignée peut être de la culture "hétéro" que ne le sont les cultures entre races : l'homosexuel est le seul qui fasse l'expérience du "racisme" à l'intérieur de sa propre famille. Je reconnais que cette opinion n'est pas celle de nombre des "gays " d'aujourd'hui ( mais combien de ceux qui se sentent "mieux" dans le milieu hétéro, et qui n'ont pas de mots assez dur pour le milieu gay, pour le "Marais" qu'ils disent détester, ne sont en fait qu'à le recherche de cette reconnaissance sociale dont ils ont besoin pour pouvoir se regarder en face; c'est souvent la haine de soi qu'ils expriment).
Comment concilier la gêne d'un premier contact et autant aimer séduire (comment avez vous deviner ce besoin de séduire, je ne crois pas en avoir fait état..): très bonne question. Je pourrais vous répondre que cela m'a empêché de rencontrer beaucoup d'hommes qui souffraient de la même infirmité ( il en faut au moins un pour faire le 1è pas!). Mais en plus je vous ai fait comprendre que nos modalités de rencontre permettaient souvent de contourner cet obstacle. Un regard peut suffire. Séduire l'autre m'a longtemps apporté plus de plaisir que le plaisir physique, que je considérais comme accessoire...Et, cela m'a toujours étonné, mais ma carapace disparaît en position allongée. Je peux dire avec mes doigts ce que je n'arrive pas à dire avec des mots.
Ce courrier est déjà assez long, le puzzle est il résolu? "
Nous continuons à correspondre, de temps à autre, depuis.