De retour de ce Disneyland pour milliardaire, sans vie gay détectable en dehors des réseaux sociaux, qu'est Monaco, où je viens d’assister à un séminaire de rentrée, le hasard a voulu que les deux très beaux films qui ont occupé une partie de mon week-end aient un rapport avec la question gay sans qu'elle en soit le sujet.
Si je suis allé voir "Yves Saint Laurent", ce n'est pas du fait d'un intérêt particulier pour le personnage, la mode féminine est un univers qui m'est étranger, ou pour son réalisateur dont je n'avais jamais entendu parler, mais parce que j'étais impatient d’y voir Pierre Niney – je l’avais trouvé remarquable (et séduisant) dans deux de ses précédents films (http://limbo.over-blog.org/article-de-quoi-la-taille-du-penis-est-elle-le-nom-80706257.html) - dans son premier grand rôle au cinéma. Il y est époustouflant, mais j'ai surtout découvert une incomparable tragédie amoureuse, qui m’était presque totalement inconnue, et dont l'épisode de la liaison adultérine du grand couturier avec le dandy Jacques de Bascher, amant (escort ?) de Karl Lagerfeld, m'a semblé une illustration exemplaire de ce à quoi faisait référence l'expression "être amoureux n'est pas aimer" dont il était question dans le précédent billet. Guillaume Gallienne est également excellent dans le rôle de Pierre Bergé, même si on soupçonne que le personnage n'est peut-être pas aussi sympathique que le portrait quelque peu hagiographique qui nous est livré.
Le seul nom de Stephen Frears était une motivation suffisante pour aller voir « Philomena ». Les succès planétaires des « Liaisons dangereuses », de « l’arnaqueur » ou de « The Queen » avaient fini par me faire quelque peu oublier qu’il était aussi le réalisateur de films gays culte comme « My beautiful laundrette » ou « Prick up your ears ». A la lecture du synopsis de son dernier film – une adolescente se voit arrachée son enfant, fruit d’une aventure amoureuse d’un soir, par les religieuses du couvent irlandais où elle a accouché, enfant qu’elles feront adopter, moyennant finance, par de riches américains – je m’attendais à une violente diatribe contre la religion et l’institution catholique, dans la lignée des "Magdalene Sisters". J’ai au contraire découvert un film bouleversant qui nous conte l’histoire vraie de cette irlandaise à la recherche, 50 ans plus tard, de son fils qui se révèlera être gay. Steve Coogan, scénariste et producteur du film, surtout connu comme acteur comique, a injecté une bonne dose d’humour très « britannique » dans cette tragédie, notamment dans les dialogues ciselés sur la religion entre le journaliste investigateur, intellectuel athée, qu’il interprète et la mère (Judi Dench) , à la foi inébranlable, profondément humaine et amateur de romans à « l’eau de rose » qui prendra finalement le dessus de ces joutes oratoires laissant le journaliste « désarmé». Par la force du pardon dont elle fait part à la religieuse responsable du drame qu’elle a vécu, ce qui aurait pu être un procès de l’institution prend soudain le visage d’une leçon de morale chrétienne.
La vision de ce film a levé mon hésitation à publier sur ce blog, un autre message d’un de ses lecteurs, reçu quelques semaines avant celui dont je vous ai fait part dans le précédent billet et qui me semble en constituer la figure inversée. Autant dans ce dernier il était question d’un monde rêvé où le désir ne serait pas contraint, autant la lettre ci-dessous fait état d’un désir contraint au point que son auteur peut écrire : « c'est entendu, dans le concret, je n'existe pas ».
Mon hésitation venait de son acceptation sans enthousiasme de la publication de son texte : « si tu as besoin de meubler, pourquoi pas »…Il me semble cependant un témoignage poignant de la façon dont peut-être vécue une homosexualité que les interdits religieux n’arrivent plus à refouler sans que l’on ne perçoive la moindre haine contre l’institution. J’ai l'amputé des quelques précisions qui auraient pu faire prendre le risque d’une authentification de l’auteur par son entourage :
« Merci pour cette réponse par laquelle tu me communiques une adresse. Je continue sur le ton du tutoiement familier, plus simple. Je ne suis pas un familier de GA. Pas inscrit. Pas ce qu'on appelle un gay au sens culturel. Mais il m'arrive occasionnellement de passer voir quels peuvent être les gugus "actuellement connectés" histoire de faire diversion quand pèse une espèce de solitude. Avec sans doute en arrière plan l'espoir naïf de tomber fortuitement sur un profil sympathique... Souvent sous le coup d'une appétence ponctuelle inquiète sur fond de passion de la similarité. Et puis comme la rue est plutôt déserte quand j'y passe, rien de plus. Il y a quelque temps, ligne tgv direction Paris : ennui. Un bon bouquin dans le sac à dos, mais comme tout crétin moyen, la préférence va au téléphone portatif. Je cherche à devancer mon furtif passage rue Ste Croix de la Bretonnerie en y flânant sur l'étal virtuel du libraire. Et puis... Va pour GA. Et je suis tombé sur toi. J'avais déjà vu une photo de toi signalant un individu "actuellement connecté "mais elle me rappelait assez... mon père et je m'étais abstenu de consulter ton profil. De fait, les images que tu laisses voir de toi quand on passe le seuil sont plutôt aimables. Et pour te dire les choses à la vérité, puisque nous sommes entre hommes sensibles : - "Respect, Monsieur !" ; je ne soutiens absolument pas la comparaison avec ce torse sculptural. Mais ce n'est pas d'abord ce qui m'amène vers toi en réalité. C'est ce que tu dis de toi : - ton intérêt marqué pour les choses de la culture (la philosophie même), l'amateur de T. Mallick qui a aimé The tree of life... On n'est pas nombreux (à moins que ce ne soit pour Brad Pitt, mais il est disgracieux dans les plans de profil et la flanelle fifties, pas très... suitable); - le lecteur de Bernanos : c'est plutôt singulier. C'est du Bernanos que, du reste, j'avais dans mon sac ce jour là. C'est le type d'auteurs que je lis de temps en temps parce qu'ils me replongent dans un monde aboli où j'avais mes amarres naguère. Avant... - Le fait que peut-être tu aies été marié dans une vie antérieure. - Des antécédents d'éducation plutôt catholique, m'a-t-il semblé, mais ma lecture a été rapide. Puis j'ai parcouru ton blog. Ai lu seulement quelques trucs. D'accord pour le style nullache de Matthieu Lindon... Ok pour ce que tu dis du freudisme, etc. Certes, peu de choses signalent une possible parenté entre ce que tu vis et ce que je vis, mais j'apprécie le ton, la liberté, le souffle qui anime une vie vécue pour de vrai, openly... Et me suis dit que peut-être ?.. Alors donc, deux ou trois choses sur moi puisque je n'ai pas d'affiche dans la boutique GA, histoire que tu me voies venir. Je vais me faire jeter, Aïe ! Tant pis... Né en ..., éducation étroitement surveillée mais assez inconsistante à a campagne. Pension religieuse de garçons en ville. Catholique forcément. Et fervent, ce qui est assez exceptionnel dans les années 80... Marié à (jeune).. ans, pour le meilleur et pour le pire sous le régime ..... et sacramentellement selon le rite ancien. Ma femme est mon unique expérience féminine. Elle est belle. Dramatiquement sanglée par la doctrine traditionnelle authentique en matière de mariage, ce qui règle les modalités de nos ébats. Pas de contraception et donc beaucoup d'enfants.......... En aval de mon admirable réussite conjugale et familiale, j'aurai eu adolescent une furtive "amitié particulière", puis une relation sans lendemain avec un mec sympa, petite quarantaine, avant mariage. Pas de quoi casser quatre pattes à un canard mais suffisamment pour donner lieu à une expérience fiéleuse de culpabilté après coup et pouvoir expliquer probablement par un mouvement de fuite, de déni de soi, l'effort douloureux qui a suivi, pour mener une vie conjugale irréprochable. Depuis quelques trois ans, Dépression... Enfin, "état dépressif" : une lumière crue est tombée dru sur moi brutalement. Crise de la quarantaine, peut-être... D'un coup c'est clair, je suis pédé, homo... plutôt, homo-sensible, ou homo-phile... Enfin bref, homosexuel. - " Bi-sexuel" ? - Mouais... Par la force des choses (mais plus sexuel que bi, probablement) , en réalité, ontologiquement homosexuel (j'aime pas ce mot, peu importe). S'ensuit une crise existentielle. L'équilibre psychologique de ma femme étant relatif, cela n'a pas aidé. Enfin, on ne refait pas sa vie : je décide de m'accrocher à ce que j'ai fait de mieux : ma couvée de pingouins grands-petits-moyens qui attendent la becquée. Donc je continuerai ce qui s'est commencé plus ou moins sans moi. Maintenant, au point où j'en suis, il faut faire avec les manifestations récurrentes d'une appétence affective et sexuelle qui ne se laisse plus tromper par les mirages de l'interdit... Avant, du temps de mon "innocence" (?), l'idéalisation de la vie chrétienne, de la droiture, de la vertu, doublée d'une crainte (bien servile) de perdre et la grâce et le cortège des biens de la fortune jouaient à plein pour réfréner tout cela... Quelques exutoires furtifs donc, désormais mais peu fréquents. Avec l'espoir, non pas de "sublimer" quoi que ce soit, mais de pouvoir donner un jour un peu de profondeur ou d'épaisseur humaine, relationnelle à ce mouvement obscur du désir. Tout ça, c'est pour les présentations, cher ami... Comparution à poil devant le médecin. Bon... Avec tout ça je me pose pas mal de questions plutôt abstraites, parce que , c'est entendu, dans le concret, je n'existe pas. Mais avant d'en faire un joli bouquet : -"Tiens, Monsieur, c'est pour toi", j'aimerais autant avoir ta réaction par rapport à ce que je te dis. Réaction ou pas, du reste, c'est comme tu l'entends. Cordial. »
Je n’ai pas très bien su quoi lui répondre, ce fut probablement insatisfaisant. « A ma question sur « la manif pour tous », il précisa : « Donc, oui, ce que je vis est complètement décalé, mais c'est bien ma vie, mon histoire. Tu termines ton mail en me demandant si j'ai eu à souffrir un de mes enfants à la manif pour tous. La réponse est oui. Les gens avec qui je vis sont dans la "mouvance", dans cet esprit. »