« En l’absence des hommes » m’avait enchanté. Vincent, le jeune héros de ce court roman dont l’action se déroule pendant la première guerre mondiale, y était victime d’un double coup de foudre, l’un sous le signe du désir amoureux pour Arthur, soldat en permission, l’autre sous le signe de la fascination pour un Marcel Proust vieillissant, lui même séduit et qui se livrera dans leurs échanges épistolaires à une déconstruction magistrale du dit désir. Le premier essai transformé que constituait ce premier roman fût confirmé par les premiers qui suivirent, longues nouvelles encore plutôt que romans, notamment « L’arrière saison » et le « Garçon d’Italie ». Moins convaincu par ses dernières créations, au point d’en délaisser certaines, je ne pouvais cependant que me précipiter sur la suite de son premier opus, « Retour parmi les hommes » qui vient de paraître. Philippe Besson, quelques années après la mort d’Arthur, nous conte l’errance de son héros devant un deuil impossible avant qu’il ne retrouve la France et ne revienne à la vie à la rencontre d’une autre figure littéraire, Raymond Radiguet, amant de Cocteau, qui vient d’écrire « Le diable au corps ». C’est peu de dire ma déception, l’ennui m’a presque effleuré à la lecture de la première partie, celle de sa fuite, succession de cartes postales à la limite du cliché. Certes on retrouve parfois dans la seconde partie de la nouvelle certaines des émotions du premier roman, la rencontre avec sa mère que Vincent avait laissé sans nouvelle, et surtout celle avec Raymond Radiguet (« je n’en pouvais plus de ta solitude» lui dit ce dernier en abordant le héros à la terrasse d’un café), et puis il y a toujours ce style classique et limpide. Si je suis loin de partager l’enthousiasme de certains critiques ou blogueurs, je trouve celle de Frédéric Beigbeder dans le Figaro, qui qualifie l’auteur de « Marc Levy gay » ou de spécialiste du « petit roman d’homosexuel gnangnan », peu convenable. Le rapprochement que font certains avec Sagan me paraît plus juste.
De la déception aux éloges. « Incendies», le film du canadien Denis Villeneuve, est bouleversant. A la lecture du testament de leur mère, deux jumeaux, fille et garçon, se voient remettre deux enveloppes par le notaire de la famille: l’une destinée à un père qu’ils croyaient mort et l’autre à un frère dont ils ignoraient l’existence. Ils iront parcourir un Liban, jamais cité, dévasté par la guerre civile où milices chrétiennes et musulmanes enchainent les représailles sanglantes, pour déchiffrer une énigme stupéfiante. On présente ce film comme une tragédie grecque, une variation sur le mythe d’Oedipe. En fait la structure narrative est basée sur une construction mathématique, la théorie des polygones, très présente semble t’il dans la pièce (que je n’ai pas vue) dont le film est tiré mais qui n’est qu’évoquée dans le film, à son début où la jumelle, professeur de mathématiques s’entend dire par son maître que les mathématiques pures traitent de problèmes sans solutions et dans sa chute où jaillit de la réflexion de son jumeau l'équation finale impossible qui résout l'énigme. De cette construction cachée, où à peine dévoilée, nait la seule faiblesse du film, une impression parfois d’artifice, de trop de « savoir faire » qui nuit à l’émotion. Ce film, comme celui, israélo-palestinien « Ajami » dont j’ai parlé dans un billet précédent rendent profondément pessimiste quant à la possibilité de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le moyen-orient.