Lorsqu’on comptabilise les intentions de vote pour les candidats qui prônent la sortie de l’euro et leur hostilité au «marché», manifestement majoritaires, on prend conscience du triste état d’esprit dans lequel se trouve la société française. Qu’un second tour Melenchon/Le Pen, bien qu’improbable, ne soit plus considéré comme impossible, donne le vertige. Après le Brexit, l’élection de Trump, la montée en puissance de Poutine et d’Erdogan, le cri d’Hamlet - «le temps est sorti de ses gonds» (Time is out of joint) - semble s’imposer.
Comment ne pas mettre en cause les réseaux sociaux, et notamment twitter et ses «gazouillis», dans cette explosion du populisme conséquence de la substitution de la «parole des incultes» à l’influence des élites. Le philosophe Michel Serres vient de le souligner, le grand changement, c’est que les technologies modernes, relayées par les médias qui donnent maintenant la parole aux «auditeurs» (je fuis ces émissions), ont permis aux incultes de prendre la parole à la place des intellectuels et des experts, jusqu’à prendre le pouvoir comme l’élection de Trump l’a montré. Tout devient désormais possible…
Cette inculture s’étend notablement au domaine économique, entrainant une adhésion irrationnelle à un candidat sans avoir la moindre idée sur la conséquence de son programme, y compris sur son propre patrimoine. J’en ai eu la démonstration éclatante avec mon beau père, ancien Mélenchoniste qui s’apprête à voter Marine Le Pen en raison d’une islamophobie irrépressible (alors qu’il vit dans un village de l’ouest parisien nullement sous la menace du « grand remplacement ») sans avoir pris conscience que, atteint d’un cancer à un stade avancé, les assurances vie en euros qu’il a souscrites pour protéger sa femme à son décès, perdraient une grande partie de leur valeur si cette dernière l’emportait.
Il est bien loin le temps où les campagnes présidentielles m’enflammaient- il est vrai qu’alors j’avais de fortes convictions socialistes et parfois une adhésion «affective» au candidat (François Mitterrand). Mais cette fois ci, même s’il ne représentait pas cette «deuxième» gauche dont j’ai tant rêvé, en présence, pour reprendre l’expression d’un de mes ex, «de l’escroc, du petit Ben (qui ose hurler à la trahison de Valls alors qu’il était prêt à censurer son gouvernement….), et du stalinien», je ne vois pas comment je pourrais ne pas voter pour Emmanuel Macron.
Même si je n’y ai jamais milité, mon vote en faveur du parti socialiste n’a jamais fait défaut à toutes les élections clés depuis 1974 (première élection où je fus en âge de voter). Je suis consterné par l’état de délabrement dans lequel cette élection va le laisser, prolongeant l’action délétère entreprise par le petit Ben et les frondeurs durant cinq ans, accentuée par les primaires, véritable machine à mobiliser les électeurs les plus psychorigides ancrés dans leur idéologie, au point de le ramener à un niveau de représentativité à peu près similaire à celui dans lequel Mitterrand l’a trouvé (il s’appelait la SFIO en ces temps-là) quand il s’en est emparé (Le tandem Gaston Defferre/Michel Rocard fit 5 % à l’élection de 1969). François Hollande a-t-il voulu cela ? C’est une hypothèse sérieuse si on s’en réfère aux confidences faites à deux journalistes dans «Un président ne devrait pas dire ça». Mais dans ce cas pourquoi n’a-t-il pas préféré, au lieu de donner la main à Emmanuel Macron (« Emmanuel Macron, c’est moi ») pour tenter l’émergence d’une gauche socio-libérale, la conduire lui-même en se séparant de la branche vermoulue des frondeurs ? Mystère.
En dépit de ce qu’en disent les médias avides de «suspense», en dehors de la vampirisation des électeurs de Hamon par Mélenchon, les sondages sont remarquablement stables depuis qu’a surgi l’affaire Pénélope (les variations restent dans la marge d’erreur des 2%). C’est à mon arrivée à Pavie, en Italie du Nord, premier jour de mes vacances (j’aurais pu voter le matin tôt avant de partir), que je saurais si un second tour Macron/Le Pen est confirmé.